Ce 24 mars, l’auteure à succès chilienne Isabel Allende recevra le doctorat honoris causa de l’université de Gand. Gie Goris l’a suivie jusqu’à San Francisco, où elle lui parla d’histoires et de mensonges, de femmes et de pouvoir, de politique et de migration. ‘La force des femmes ne réside pas dans leur pouvoir ou leur puissance physique, mais dans leur résilience et leur compassion.’
Isabel Allende a écrit les romans à succès La Maison aux esprits, Eva Luna, Paula, L’Amant japonais, D’amour et d’ombre… Cette année est prévue la parution d’Invincible Summer, son dernier roman, qui met en scène l’horrible nuit qu’une réfugiée guatémaltèque et un journaliste chilien partagent ensemble à New York. Ce titre, Isabel Allende l’emprunte à Albert Camus, qui écrivait dans L’Été : ‘Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible.’
Ce 24 mars, Isabel Allende recevra un doctorat honoris causa de l’université de Gand pour l’influence de son travail littéraire dans la société. Ce doctorat honorifique lui est attribué sans concertation préalable avec la faculté de lettres, ce qui a provoqué une tempête de commentaires indignés sur le réalisme magique poussé à l’extrême, les conséquences néfastes de son style exotique et la délicate relation entre chiffres de vente élevés et valeur littéraire.
‘La plupart des commentaires de mon œuvre sont faits dans des langues que je ne comprends pas’
‘La plupart des commentaires de mon œuvre sont faits dans des langues que je ne comprends pas’, déclarait l’auteure alors que nous discutions au début du mois, à Sausalito, San Francisco. Isabel Allende rédige ses romans en espagnol; ils sont ensuite traduits en 35 langues. Aux quatre coins du monde, des millions de lecteurs achètent et dévorent ses livres.
Pour la première partie de notre entrevue, nous discutons chez elle. Sa maison pourrait parfaitement servir de théâtre à la suite de sa maison aux esprits : fin du dix-neuvième siècle, la bâtisse hébergeait une maison de passe luxueuse, avant de devenir une église pentecôtiste et ensuite l’atelier d’un chocolatier. Aujourd’hui, Isabel Allende y a installé son bureau d’écrivaine ainsi que celui de l’Isabel Allende foundation. Cette fondation investit chaque année environ un million de dollars dans des projets pour offrir des chances égales aux petites filles, un salaire équitable pour un travail égal et protéger les droits sexuels et reproductifs des femmes.
L’auteure me raconte la longue histoire de la naissance de sa fondation – avec Isabel Allende, tout événement est une histoire – lors du second volet de notre entrevue, où nous dégustons d’excellents sushis, du saké et une glace au thé vert.
Isabel Allende : Les revenus des ventes de Paula, le récit de la maladie et du décès de ma fille Paula Frías, furent rassemblés sur un compte spécial. Je ne savais pas encore à quoi ils serviraient. Après son décès, je ne parvenais d’ailleurs pas à recommencer à écrire. Je pensais souffrir du syndrome de la page blanche. Un ami l’appelait plutôt un réservoir vide, et me conseilla par conséquent de remplir mon réservoir d’histoires et d’images.
‘N’est-il pas horrifiant que des mères ne veulent pas de leurs propres filles, parce qu’elles sont perçues comme inférieures, comme des fardeaux ?’
Pour ce faire, j’ai décidé de voyager en Inde. Par une journée torride, notre chauffeur dut faire halte à Rajasthan pour laisser refroidir le moteur en surchauffe. Avec une amie, nous sortirent pour attendre à l’ombre d’un grand acacia. Un petit groupe de femmes habitant la région s’y reposait déjà. Nous ne nous comprenions pas, mais tentâmes de communiquer par des gestes. Nous leur offrîmes les quelques bracelets que nous venions d’acheter. À l’heure de reprendre la route, un des femmes me suivit pour m’offrir un paquet en échange.
J’essayai de lui faire comprendre que je ne pouvais l’accepter, mais elle refusa mes explications. En défaisant l’emballage, je découvris avec horreur qu’il contenait un nouveau-né. Le chauffeur remit le paquet dans les mains de la femme et nous ordonna de remonter dans le véhicule. Plus tard, quand je mentionnai à nouveau ma stupéfaction, le chauffeur me répondit : ‘C’était une fille. Qui pourrait bien vouloir d’une fille ?’ À cet instant précis, je sus que faire de l’argent récolté grâce à Paula. N’est-il pas horrifiant que des mères ne veulent pas de leurs propres filles, parce qu’elles sont perçues comme inférieures, comme des fardeaux ?
CC Casa de las Americas (CC BY-NC-ND 2.0)
Elle se trouvait dans la véritable maison aux esprits quand elle prit conscience pour la première fois que les femmes disposaient de moins d’opportunités et de droits que les hommes. Isabel Allende et sa mère vécurent dans la maison de son grand-père, ce qui valut à sa mère de dépendre des hommes pour le moindre de ses choix ou décisions. ‘Très jeune, je développai un esprit de révolte. Alors que je grandissais, ma colère se dirigeait de plus en plus contre toute forme d’autorité.’ Son travail de journaliste pour un magazine féministe lui offrit une première échappatoire. Pourtant, elle a préféré l’écriture de roman au journalisme. Pourquoi ?
Isabel Allende : Parce que plutôt qu’une source fiable de faits, je suis avant tout une grande menteuse. Déjà quand j’étais journaliste, j’étais plus conteuse d’histoires qu’enquêteuse ou chroniqueuse. Le journalisme est fait d’immédiateté, de nervosité. La littérature m’offre la liberté de raconter la vérité sans être limitée par les preuves et les faits, ou par la partialité de mon point de vue personnel. En outre, la fiction qui ne trouve pas ses racines dans la réalité ne fonctionne pas. Les lecteurs ont besoin de ce fondement de vérité et de vraisemblance pour s’abandonner à la fiction.
Les “alternative facts” du nouveau président américain appartiennent-ils eux aussi au genre de la fiction ?
‘Pour ma fiction, je me base sur des recherches de fond, tandis qu’ils dissimulent la réalité. Dans cette optique, les “faits alternatifs” et les “fausses informations” ne sont rien d’autre qu’une nouvelle version de la censure d’autrefois, des dictatures militaires des années 1970.’
Isabel Allende : Non, ce sont des mensonges. Pour ma fiction, je me base sur des recherches de fond, tandis que ces faits sont des mensonges pour dissimuler la réalité. Dans cette optique, les “faits alternatifs” et les “fausses informations” ne sont rien d’autre que la version contemporaine de la censure d’autrefois, des dictatures militaires des années 1970. Au contraire, l’art tente de reproduire la vie, de lui donner du sens. C’est un moyen de chercher la vérité.
Chaque année, la journée internationale des femmes attire plus l’attention. Cela vous fait-il plaisir ?
Isabel Allende : En fait, il est assez triste de voir que l’on a besoin d’une journée internationale des femmes. L’absence d’une journée des hommes en dit long sur la situation, vous ne trouvez pas ? La place des hommes et de la masculinité dans la société ne semble pas être discutable ; celle des femmes et de la féminité, en revanche, l’est toujours. Nous voilà maintenant avec Donal Trump à la présidence des États-Unis, un misogyne et fier de l’être qui a pourtant convaincu 51 pour cent de l’électorat féminin.
Alors que l’autre candidate, Hillary Clinton, se voulait justement l’incarnation de l’émancipation réussie.
Isabel Allende : Hillary Clinton ne représente pas tant les femmes des USA que le statu quo du système, de même que tous les avantages qui reviennent aux élites. Hillary n’apportait rien de neuf, tandis que Trump personnifiait le changement – une mauvaise forme de changement, selon moi, mais qui reste un changement. Leur genre n’avait rien à voir là-dedans.
Le genre doit-il figurer au centre de tout débat ou de toute politique ?
‘Quand un auteur est qualifié d’important, rien de plus, vous pouvez être certain que c’est un homme blanc. Sinon, il y aurait immanquablement une mention indiquant que c’est une femme, ou un Noir, ou quelqu’un originaire d’Amérique latine…’
Isabel Allende : La question du genre ne doit peut-être pas être centrale, mais elle doit être une préoccupation constante. Pour autant, on n’élit pas quelqu’un à un poste politique parce que c’est une femme, ou pour sa race, sa couleur de peau, son origine ethnique, sa religion, etc. Ce qui importe réellement, c’est le programme et les compétences du candidat ou de la candidate.
En littérature, c’est la même chose. Quand un auteur est qualifié d’important, rien de plus, vous pouvez être certain que c’est un homme blanc. Sinon, il y aurait immanquablement une mention indiquant que c’est une femme, ou un Noir, ou quelqu’un originaire d’Amérique latine… L’adjectif diminue l’importance ou la valeur de sa littérature et confirme une norme apparemment hors d’atteinte pour tous les “autres”.
Quelle a été l’importance de Michelle Bachelet, la première femme présidente au Chili et en Amérique latine, qui plus est à avoir été élue deux fois ?
Isabel Allende : Lors de sa première élection, elle a brisé tous les tabous du Chili conservateur et catholique : femme, mère célibataire, socialiste, athéiste. Et la première thématique qu’elle attaqua une fois présidente fut la violence familiale. Elle remporta son deuxième mandat grâce à sa forte personnalité, presque malgré le fait que les partis politiques qui la soutenaient avaient perdu la confiance de la population. L’actuel perte de popularité de son gouvernement tient moins de la motion de méfiance contre sa personne que contre les politiciens qui forment son gouvernement. Elle est une femme d’une puissance incroyable.
Comment définissez-vous une femme puissante ?
Isabel Allende : La force des femmes ne réside pas dans leur pouvoir ou leur puissance physique, mais dans leur résilience et leru compassion. Après chaque nouvelle oppression, elles se relèvent. Mille fois de suite. Elles prennent soin des autres, même quand ils ne prennent pas soin d’elles. Les femmes fortes ne sont pas des guerrières, mais des résistantes. Pas nécessairement des dirigeantes, mais celles qui rassemblent la population. Au Chili, les pères sont souvent absents ; les femmes sont toujours responsables d’entretenir la famille et la communauté au sens large.
‘La force des femmes ne réside pas dans leur pouvoir ou leur puissance physique, mais dans leur résilience et leur compassion. Après chaque nouvelle oppression, elles se relèvent.’
Le but du féminisme n’est-il pas de créer plus d’espace pour permettre aux femmes de se réaliser, y compris en-dehors du traditionnel cercle familial ?
Isabel Allende : Le féminisme traite des choix, de la possibilité qu’ont les femmes de faire les mêmes choix que les hommes : elles doivent pouvoir choisir de mener une vie de mère au foyer, mais aussi de construire une carrière de présidente ou de para-commando. Nous devons avoir le droit de choisir notre propre reproduction, notre santé, mais aussi nos compétences intellectuelles ou artistiques. Les femmes sont toujours forcées de lutter pour leurs droits ou pour leurs choix, c’est beaucoup moins le cas pour les hommes.
La marche des femmes, juste après l’investiture du président Trump, était-elle un pas dans la bonne direction, celle de plus de possibilités de choisir ?
Isabel Allende : Absolument. Cette manifestation légère et joyeuse a rassemblé des millions de personnes. L’esprit était plus à la fête qu’à la protestation amère, bien que son prétexte reste l’élection de Trump. Il incarne la misogynie et menace par conséquent à peu près tout ce que les femmes ont acquis au fil des ans. Si le président plaisante sur les agressions faites aux femmes, qui va veiller à ce que cette attitude ne devienne pas normale dans la société ? Cette atteinte aux droits des femmes est si directe, si brutale, qu’il faut lui opposer une résistance. Nous devrons persister dans ce sens.
CC Casa de las Americas (CC BY-NC-ND 2.0)
Il semblerait que persister ne soit pas si aisé. En Amérique latine, les gouvernements de gauche doivent faire place aux partis de droite.
Isabel Allende : Je suis déjà suffisamment âgée pour savoir que le vent peut souffler dans les deux directions. Longtemps, le Chili a été la société la plus sociale-conservatrice d’Amérique latine. Pourtant, il a aussi été le premier pays à élire un président marxiste [Salvador Allende, un cousin de son père], avant d’être près de vingt ans sous la coupe d’un dictateur d’extrême-droite libéral [Augusto Pinochet], pour finalement être le premier état d’Amérique latine à être dirigé par une femme présidente. Aujourd’hui, le vent passe encore une fois de la gauche à la droite.
‘Ce qui me redonne de l’espoir, c’est de constater que les jeunes ne participent pas aux élections car les partis et les institutions sont le produit du dix-neuvième siècle et ne satisfont pas les besoins de notre ère d’information et de communication.’
Y a-t-il encore une raison d’espérer, ou seulement de se résigner ?
Isabel Allende : Ce qui me redonne de l’espoir, c’est de constater que les jeunes ne participent pas aux élections car les partis et les institutions sont le produit du dix-neuvième siècle, alors qu’ils ne satisfont pas les besoins de notre ère d’information et de communication.
En quoi est-ce un signe d’espoir, selon vous ?
Isabel Allende : Mon espoir, je le tire de la conscience que cette génération nous gouvernera dans une dizaine d’années. Elle apportera un changement. Les élections se dérouleront autrement et la prise de décision sera différente. Les jeunes vont réagir, comme les femmes ont réagi. La campagne de Bernie Sanders a clairement montré que cette réaction est déjà en marche. La déception causée par le Parti des démocrates devra se traduire par la construction de quelque chose de neuf, à l’intérieur ou à l’extérieur du parti.
L’une des questions centrales de la politique actuelle reste la migration. Tant en Europe qu’aux USA, certains politiciens s’assurent leur succès en cultivant la peur des migrants et des réfugiés. Vous êtes vous-même une migrante ici, comment vivez-vous cette nouvelle vague ?
Isabel Allende : De nos jours, les gens empruntent massivement les routes migratoires, la plupart pour fuir la guerre et la violence, mais aussi la pauvreté et la faim. Ce phénomène exige une réponse d’ordre mondial. La plus fondamentale des réponses doit se focaliser sur comment combler le fossé qui sépare les have’s des have-not’s. Si nous permettons que ce contraste existe et s’intensifie, nous ne pourrons éviter un violent conflit. Dans un monde où les frontières s’effacent pour les capitaux, les marchandises et les savoirs, nous ne pouvons accepter qu’elles se referment pour les personnes. Ce siècle est celui de la migration et de la véritable mondialisation, pour nous tous.
La plupart des migrants n’ont pas choisi cette voie.
Isabel Allende : En 1973, je n’avais pas non plus choisi de fuir le Chili. Par la suite, j’ai choisi d’émigrer aux États-Unis. Les réfugient partent pour survivre. La situation du Guatemala est d’une telle brutalité, en raison des bandes violentes, de la corruption et de la pauvreté, que les habitants n’ont d’autre option que la fuite. Généralement, ce sont les plus jeunes, les plus courageux, les plus forts qui émigrent. Les personnes âgées, malades ou affaiblies restent sur place.
Vous dites donc que la migration est bénéfique aux pays d’accueil, mais la pire chose qui puisse arriver aux pays d’origine ?
‘Tout le monde préfère vivre dans un pays où il se sent chez lui, dont il parle la langue, où il a tissé des liens, que dans un pays où il n’a pas de droit, d’histoire et de famille.’
Isabel Allende : C’est cela. La migration n’est qu’un symptôme d’un problème plus profond et plus grave. Les Syriens préfèreraient vivre en Syrie et chacune des familles guatémaltèques que je connais aurait souhaité rester au Guatemala. Tout le monde préfère vivre dans un pays où il se sent chez lui, dont il parle la langue, où il a tissé des liens, que dans un pays où il n’a pas de droit, d’histoire et de famille.
La violence ou l’injustice qui pousse ces personnes à fuir doit être combattue sur place. De plus, nous devons moins souligner les différences et les frontières, mais davantage notre humanité commune, les besoins, les peurs et les espoirs que nous partageons.
Les gens ont toutefois besoin d’un ancrage local, ou du moins d’un sentiment d’appartenance à un groupe ou à une communauté.
Isabel Allende : J’en ai bien conscience, mais j’ai foi en l’évolution. Nous ne vivons plus dans une période de tribus. Et bien que l’histoire ne soit pas une droite croissante, je remarque tout de même que malgré les oscillations, se dessine une tendance d’un monde plus démocratique, plus inclusif, mieux informé. Aujourd’hui, la classe moyenne est plus forte que jamais auparavant. 2017 marque un baisse de régime, avec la montée soudaine d’un nouveau nationalisme et d’une extrême-droite, mais je pense qu’elle n’affectera pas la tendance générale.
L’une des identités à être réapparues de plus belle ces dernières années, c’est l’identité religieuse. Cela dit, la religion est désormais plus une idéologique politique que spirituelle.
Isabel Allende : Je ne suis moi-même pas croyante, mais je note l’importance que la religion revêt pour d’autres. Il semblerait qu’ils aient besoin de croire en quelque chose. Pour moi, cette foi en dieu peut être un tremplin idéal pour œuvrer ensemble à un monde meilleur. J’accorde particulièrement peu de confiance aux religions organisées, de par leur potentiel à transformer leurs fidèles en fanatiques. La religion peut devenir une arme de répression redoutable, comme elle peut être une force bénéfique.
CC Casa de las Americas (CC BY-NC-ND 2.0)
Dans vos romans, la spiritualité n’est pas anodine.
Isabel Allende : Je raconte des histoires importantes à mes yeux. Pour y parvenir, je puise dans l’espoir, la peur ou la conscience collective existante. Ces connexions se développent quand on passe beaucoup de temps seul pour écrire, les mystiques et les moines vivent peut-être quelque chose de semblable. Ce n’est pas rationnel mais intuitif.
De plus, les histoires que je raconte ne sont pas des messages bien ficelés, sinon des expériences que je veux partager. Les histoires sont l’essence même du langage, elles rassemblent les individus. La musique raconte une histoire, l’Histoire est une histoire. Et chacune apporte un regard nouveau.
Dans vos influences littéraires, vous citez bien entendu des écrivains du boom latino-américain, tel Gabriel García Márquez et Mario Vargas Llosa, mais aussi des Russes du dix-neuvième, de Dostoïevski à Tourgueniev en passant par Boulgakov. Pourtant, la littérature de ces derniers est bien plus sombre et exigeante que la vôtre.
Isabel Allende : N’est-ce pas dû à leur culture au sens large ? Les Russes ne sont-ils pas tout simplement plus dramatiques que les Latinos ? L’Amérique latine est un continent d’exploitation, de violence et d’oppression, tout en maintenant son identité colorée, savoureuse, musicale, festive. Jusqu’à Oaxaca, une province mexicaine connue pour son extrême pauvreté et violence, la population se réunit pour célébrer la vie et la mort avec de la musique, de la danse et des fleurs bigarrées.
‘J’écris en espagnol, car un roman naît des tripes et non de la tête.’
Vous vivez depuis bien longtemps hors de cette réalité. Est-ce la raison pour laquelle vous cultivez davantage une teinte latino que les autres jeunes auteurs d’Amérique latine ?
Isabel Allende : Mes parents habitent au Chili, ils ont 101 et 96 ans. Je m’y rends donc souvent. Aux États-Unis, je suis également souvent en contact avec des migrants d’Amérique latine. D’ailleurs, j’écris en espagnol, car un roman naît des tripes et non de la tête ; la langue maternelle y fait la loi. Je rêve en espagnol, je jure en espagnol et quand je prie, je prie en espagnol.
J’ai appris la valeur des histoires dans la cuisine de mon grand-père. Une radio y était toujours allumée – ce qui n’était pas permis dans le reste de la maison, par crainte de la vulgarité qu’elle pourrait déverser chez nous. J’écoutai avec avidité les pièces de théâtres qui étaient diffusées entre les morceaux de musique. Les histoires me servent de boussole dans ma quête de la place qui me revient dans cet univers.
Traduction : Marie Gomrée