Un arrière cousin du défunt Premier ministre Lumumba poursuit aujourd’hui de près sa politique.
Jean-Jacques Lumumba : « La corruption freine la progression du continent africain »
© Elien Spillebeen
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Le silence le rendait malade. Jean-Jacques Lumumba suit les traces de son grand-oncle en luttant contre l'injustice que les dirigeants politiques font aux Congolais. Le banquier est devenu lanceur d’alerte et a documenté comment Kabila et ses associés pillaient furtivement le Congo.
« L’analyse d’un crédit ne diffère pas tellement de celle d’un homme. Dans les deux cas, il faut comprendre ce que l’argent fait évoluer et pourquoi. » Jean-Jacques Lumumba n’est pas une figure politique de la trempe de son grand-oncle Patrice Lumumba, pionnier des premiers ministres élus démocratiquement, mais un expert financier. Toutefois, il est, à l’instar de Patrice Lumumba animé par des idéaux et il suit de près la politique de ceux qui érigent l’importance de l’Etat au-dessus de celle du peuple. « Celui qui vole l’argent de l’Etat, dépouille son propre peuple. »
A l’époque où il était encore banquier, il remarqua des transactions suspectes, là où Jean-Jacques Lumumba refusait tout simplement de fermer les yeux. Il dissimulait les transferts d’argent de la banque nationale vers les comptes de la famille et des proches de Kabila. MO* s’est entretenu avec le lanceur d’alerte congolais qui souhaite mettre un terme à la kleptocratie au Congo du président de l’ombre.
« Cela fait aujourd’hui trois ans que je vis en exil en France. » commence Lumumba. Il est devenu lanceur d’alerte car les secrets le rendaient malade. Il s’est rendu à Bruxelles parce qu’il souhaitait partager son expérience. Il a alors lancé une plateforme panafricaine de lutte contre la corruption.
« chaque citoyen peut participer à la lutte contre la corruption »
« La corruption freine la progression du continent africain. Avec UNIS, nous souhaitons prouver que chaque citoyen peut participer à la lutte contre la corruption. « Un combat qu’il a commencé seul en 2016, mobilisé par un sentiment d’injustice. Aujourd’hui, il ne lutte plus tout seul et il souhaite réveiller tous les citoyens.
Le grand pillage
Il y a trois ans, il s’est rendu au journal Le Soir. Il est alors arrivé avec des documents compromettants. Il souhaitait faire cesser le silence qui planait au-dessus du pillage des caisses de l’Etat congolais qui se déroulait devant ses yeux.
« Des millions de dollars, entre autre issus de la commission électorale, ont été transférés depuis la banque où je travaille, BGFI, vers des proches de l’ex-président Kabila »
« Des millions de dollars, entre autre issus de la commission électorale, ont été transférés depuis la banque où je travaille, BGFI, vers des proches de l’ex-président Kabila. »
La BGFI est une banque gabonaise dont la branche congolaise était détenue par le frère du président Joseph Kabila, Francis Selemani Mtwale. J’ai commencé en 2012. Je devais mettre de l’ordre dans les affaires et veiller à ce que les procédures d’octroi des crédits suivent les directives internationales. J’avais déjà repéré des dysfonctionnements. Mais je n’avais alors pas accès à toutes les informations. »
Depuis 2014, Lumumba était devenu le directeur du service crédits de la BGFI. « J’y avais fait forte impression et mes réformes m’ont permis de connaître la section comme personne d’autre. J’avais soudainement accès à tous les dossiers en tant que directeur. Mais je mis bien un an avant de réunir toutes les pièces du puzzle. »
« Il faut analyser le réseau afin de comprendre les intérêts et les intentions des investisseurs, tout comme chez les hommes. »
« L’octroi d’un prêt doit suivre certaines règles. L’analyse d’un crédit ne diffère pas vraiment de celle d’un homme. Il faut chercher à comprendre la quantité, la manière et la raison du mouvement d’argent. », explique-t-il. Pour ce faire, il faut regarder le rapport que l’on peut établir avec d’autres crédits, transactions et clients. Il faut analyser le réseau afin de comprendre les intérêts et les intentions des investisseurs, tout comme chez les hommes.
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« Je voyais que les règles et procédures n’étaient pas appliquées pour tout le monde. Je commençais à voir des liens entre des crédits suspects et l’entourage du président. » Il remarque ainsi qu’un prêt avait été dirigé vers la commission électorale, alors que cette commission avait suffisamment de fonds. Les taux d’intérêt bien trop élevés et les commissions que reçut la commission électorale constituaient une manière de piller l’institution. Il vit ensuite disparaître de gros montants vers des proches du président Joseph Kabila.
L’héritage d’un Lumumba
Jean-Jacques Lumumba parle d’une voix étouffée et fait une impression assez peu remarquée. Il aime les chiffres, les virgules et les règles d’orthographe claires. Il est le comptable de la famille, mais il est un Lumumba. Il pense bien que l’héritage politique de son grand-oncle pesait sur ses décisions.
« Je ne veux pas que tu luttes contre ces puissants, mais contre l’injustice »
« J’ai été élevé par la mère de Patrice Lumumba. C’est elle qui me donna le premier conseil bien avisé de ma vie. » Jean-Jacques se souvient encore parfaitement des mots de la mère Lumumba : » J’ai perdu mon fils trop tôt parce qu’il luttait contre des hommes plus puissants que lui. Je ne veux pas que tu luttes contre ces puissants, mais contre l’injustice. Et si cela inclut un jour de t’opposer à ces puissants, alors c’est ce que tu dois faire.
« La raison pour laquelle je refusais de prendre part au jeu de Selemani était parce que il contrevenait aux idéaux avec lesquels j’ai grandi. » Toutefois, Lumumba refuse le statut de héros. Il ne se rend pas immédiatement sur les barricades et revendiqua l’abus d’abord en interne.
Malade du silence
Lumumba a d’abord confronté Selemani, le frère de Kabila et président de la banque, avec ses découvertes : « Je lui dis : Ce que tu fais a un impact direct sur la population. L’argent de la banque nationale ne revient pas au peuple. Et les pratiques en vigueur ici sont du vol. » Je ne pouvais pas tolérer ces pratiques en tant que responsable de ces crédits. Elles s’opposent à la déontologie de ma profession. Il réagit tout d’abord sur la défensive. Il me passa un savon. Je devais me taire. Selon lui, je ferais bien de penser d’abord à ma femme et à mes enfants. Quelques jours plus tard, Selemani choisit de fuir : « Il essaya de rejeter la responsabilité de toutes les malversations sur moi. J’étais soudainement désigné responsable de tout. »
« L’argent de la banque nationale ne revient pas au peuple. Et les pratiques en vigueur ici sont du vol. »
« Des conseillers juridiques et des avocats me firent bien comprendre que c’était en vue de me faire arrêter. » Lumumba s’enfuit vers la France, avec sa femme et ses enfants.
« Mon séjour en France me rendit immédiatement malade. Je compris que je ne pouvais pas faire demi-tour. Les menaces continuaient. Les problèmes de pression artérielles se transformèrent en embolie pulmonaire. Mon médecin me dit que, si rien ne changeait, le stress finirait par causer ma mort. »
« La seule manière de me soustraire à ce stress était de parler », pensait Lumumba. Ce ne sont pas seulement les menaces, mais aussi le poids des secrets qui le rendaient malade, jugeait-il. « Parler serait une libération. »
« Je compris en outre que je verrais peut-être ma dernière heure demain. Ma vie n’avait désormais aucun sens si je n’avais rien fait en faveur d’autrui. » Il remit tout d’abord sa démission. Le banquier s’autoproclama ensuite lanceur d’alerte.
Lumumba Papers
C’est alors qu’il se présente, trois ans plus tard, auprès d’un journal belge. Il tenait une liasse de documents compromettants sous son bras. Fin 2016, le journal Le Soir publia en avant-première des révélations de Lumumba. Les transactions entre la banque nationale, les commissions électorales et les firmes privées y furent listées.
Suite à la publication de l’article du journal Le Soir, les menaces enflèrent, mais le soutien aussi. Lumumba fut contacté par le PPLAAF, une organisation qui protège et soutient les lanceurs d’alerte africains. Ils publièrent une partie des documents en ligne sous le nom Lumumba Papers.
De Lumumba Papers onthullen transacties van de nationale bank richting private rekeningen.
© PPLAAF
Le document faisait aussi état de deux Belges, Marc Piedboeuf et Alain Wan, dont les noms et prénoms étaient cités. Ils dirigeaient entre autres la ferme privée de Kabila. Et l’entreprise Egal, que président les deux hommes, reçut de la banque nationale quelque 42,9 millions de dollars sans aucune raison.
Depuis 2016, Lumumba met régulièrement de nouveaux abus en lumière. L’organisation indépendante, qui enquête sur les pratiques de blanchiment d’argent et est fondée par Georges Clooney, a déjà publié deux rapports sur la base des informations de Lumumba.
A l’aide du lanceur d’alerte congolais, the Sentry a publié ce mois-ci un nouveau rapport, Covert Capital, qui fit jour sur des transactions et pratiques suspectes de Kwanza Capital. Cette banque d’investissement privée s’avérait une construction fantomatique qui transférait des moyens publics vers la famille de Kabila et son entourage.
Le peuple d’abord
Suite aux révélations, Selemani a d’abord dû quitter sa fonction chez BGFI. Mais son grand frère Joseph Kabila resta au pouvoir. Il n’est officiellement plus président, mais en réalité, il tire encore les ficelles.
Des élections présidentielles et parlementaires se sont tenues au début de l’année. Le prince héritier que Kabila désigna a échoué, mais un pacte fut conclu avec un autre perdant, Félix Tshisekedi. En échange de sa présidence, Kabila octroya à sa propre famille politique la majorité des sièges parlementaires. Le véritable vainqueur, Martin Fayulu, fut entièrement exclu. MO* a déjà décrit comment Joseph Kabila se verse chaque mois 700 000 dollars. Le pillage ne fait que continuer.
« Kabila incarne l’arrogance, la mauvaise gouvernance et l’égoïsme »
« Kabila incarne l’arrogance, la mauvaise gouvernance et l’égoïsme. Kabila ne soutient pas les intérêts du peuple, mais ne pense qu’à s’enrichir personnellement, au dépens du peuple. »
Cependant, Lumumba, à l’instar de nombreux Congolais, n’est pas d’accord avec l’analyse selon laquelle les élections n’ont permis aucun changement. « Le résultat n’est pas un reflet de la volonté du peuple. Mais le changement à la tête est symboliquement important. »
« Le peuple d’abord était son slogan. La population espère désormais qu’il va pouvoir se défaire le plus vite possible de Kabila. C’est désormais à Tshisekedi de prouver qu’il est intelligent et stratégique. »
« On ne planifie pas une carrière politique »
Lumumba se porte bien mieux aujourd’hui. « Je me sens bien mieux sur le plan psychique aujourd’hui. Je veux continuer mon combat. Chaque obstacle traversé me rend plus fort. »
« Je ne veux aujourd’hui pas seulement montrer du doigt les politiciens, mais renvoyer en premier lieu les citoyens à leur propre responsabilité. A l’aide d’UNIS, la plateforme panafricaine de la lutte contre la corruption, il souhaite montrer ce que les Africains sont capables de faire eux-mêmes afin d’aider le continent à progresser. »
Bien qu’UNIS ait été mise sur pied par plusieurs activistes africains, il comprend bien que son nom de famille saute aux yeux et que sa présidence construit des attentes.
« Le nom possède en effet une connotation politique. Patrice Lumumba était bien évidemment une figure politique, et moi un activiste. Mais ses idées continuent d’exister encore aujourd’hui, et même en moi. Je partage sa façon de penser, qui a évolué avec le temps et mon aide. »
« Mais personnellement, je crois davantage en une force de changement par le peuple que par les dirigeants »
« Mon objectif est désormais d’être un bon citoyen et de continuer à aider mon continent à progresser. » Si Lumumba n’ambitionne pas un mandat politique immédiat, il n’exclut toutefois pas cette idée : « Une carrière politique ne se planifie pas. Les circonstances peuvent varier, ce qui fait aussi se transformer votre activisme en ambitions politiques. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour. »
Malgré les problèmes, il voit aujourd’hui des dirigeants politiques capables de diriger correctement dans son pays natal. « Mais personnellement, je crois davantage en une force de changement par le peuple que par les dirigeants. » Les mots d’un véritable activiste.
Traduit du néerlandais par Geneviève Debroux