Razim Čolić: ‘L’islam européen existe déjà depuis un siècle, en Bosnie. Nous sommes prêts à apporter notre aide.’

Interview

Europese islam

Razim Čolić: ‘L’islam européen existe déjà depuis un siècle, en Bosnie. Nous sommes prêts à apporter notre aide.’

Razim Čolić: ‘L’islam européen existe déjà depuis un siècle, en Bosnie. Nous sommes prêts à apporter notre aide.’
Razim Čolić: ‘L’islam européen existe déjà depuis un siècle, en Bosnie. Nous sommes prêts à apporter notre aide.’

L’islam en Europe, l’influence de l’Arabie saoudite, la reconnaissance des mosquées : la semaine dernière, le débat a repris de plus belle. Mais devons-nous réellement réinventer la roue ? MO* a obtenu une entrevue exclusive avec le bras droit du grand mufti de Bosnie-Herzégovine, un pays européen dont la communauté musulmane autochtone est indépendante et structurée depuis 105 ans.

‘Nous traversons une profonde crise. Pour moi, la peur régnant en Europe de l’Ouest est compréhensible. Votre mode de vie vous semble menacé,’ déclare Razim Čolić, le bras droit du grand mufti de Bosnie-Herzégovine. D’après lui, l’État belge et les communautés musulmanes doivent de toute urgence s’atteler aux points suivants :

  1. Intégrer l’islam dans le contexte européen d’État séculier

  2. Réunir toutes les communautés musulmanes sous une seule et même structure

  3. Gérer les intérêts et les droits des musulmans

  4. Couper les financements venus de l’étranger

  5. Former les imams en Europe

C’est une évidence.

Maintenant qu’une note de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (OCAM) concernant la “montée” du salafisme a été révélée, l’appel de Razim Čolić se fait à son tour urgent. Le chef de la Sureté de l’État, Jaak Raes, est actuellement en déplacement en Arabie saoudite, mais les ministres Koen Geens et Liesbeth Homans ne feraient-ils pas mieux d’acheter leur ticket pour Sarajevo ?

La Belgique compte 300 mosquées, dont 81 sont reconnues. Le gouvernement fédéral et le gouvernement flamand sont favorables à la reconnaissance de plus de mosquées. Cependant, la procédure est au point mort depuis quatre ans, en raison de difficultés internes à l’Exécutif des Musulmans de Belgique. ‘Peut-être votre parti est-il d’avis qu’il faut laisser les 300 mosquées de Belgique n’en faire qu’à leur tête. Pour ma part, je pense qu’il est préférable de reconnaître les mosquées qui respectent déjà toutes leurs obligations afin d’avoir un impact en tant que pouvoirs publics,’ répondait la ministre flamande de l’Intégration Liesbeth Homans (N-VA) à une question posée par le Vlaams Belang au parlement flamand. Il y a un mois, Koen Geens (CD&V), ministre de la Justice, rendait un avis positif pour la reconnaissance de 20 nouvelles mosquées. Liesbeth Homans ne dit vouloir accepter de les reconnaître qu’après avoir pu consulter les dossiers de la Sûreté de l’État. Celle-ci dispose en effet d’informations concernant la possibilité que l’État turque utilise des mosquées de sa communauté en Belgique pour de l’espionnage. Un accord politique prévoit la reconnaissance d’un total de 80 mosquées et de 80 imams supplémentaires d’ici 2019.

Un mouvement est en marche en Europe : l’Autriche revoit sa loi sur l’islam, l’Allemagne et l’Italie veulent couper les voies de financement de l’étranger et la Flandre veut reconnaître davantage de mosquées. Les attentats terroristes commis au nom de l’islam n’ont pas eu comme seul effet de raviver l’islamophobie. Ils font également office de catalyseurs pour des mesures politiques constructives qui n’étaient plus envisageables depuis longtemps.

La communauté musulmane de Bosnie-Herzégovine, strictement hiérarchisée, a inspiré la loi sur l’islam en Autriche.

En coulisses, les musulmans bosniens s’activent depuis tout ce temps. Fin 2016, le grand mufti de Bosnie-Herzégovine, Husein ef. Kavazović, était de passage à Bruxelles. Il a offert ses services aux fonctionnaires européens pour l’organisation et la structuration de l’islam au sein des pays de l’Union.

La Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine, strictement hiérarchisée, a inspiré la loi sur l’islam en Autriche et l’Italie s’intéresse elle aussi aux musulmans bosniens. Ils financent leur communauté grâce à des cotisations de leurs membres, et non grâce à de l’argent en provenance de l’étranger.

Depuis des siècles, ils disposent de leurs propres institutions pour l’enseignement de leurs imams et de leurs consuls, et ce, dans les contextes de la Bosnie, de l’Europe et de l’État séculier. En outre, certaines de leurs institutions se consacrent à la défense des droits et des intérêts des musulmans.

Tout ceci leur confère plus de crédibilité et de légitimité que bon nombre d’autres communautés musulmanes d’Europe de l’Ouest et leur permet d’être plus résistants face aux extrémistes dans leurs propres rangs, tout en prévenant l’apparition de la radicalisation et de la détérioration de la société.

Intégrer l’islam dans le contexte européen d’État séculier

© Pieter Stockmans​

Razim Čolić: ‘À chaque fois, la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine a pu s’adapter à des circonstances nouvelles ; ce fut la clé de notre survie.’

© Pieter Stockmans​​

Depuis quelques années, le salafisme inquiète en Belgique. Comment abordez-vous ce sujet ?

Razim Čolić : Dans la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine, il y a aussi des salafistes conservateurs, mais les modernistes et les partisans de la réforme dominent. Tous sont bienvenus dans les mosquées, même si les imams ne sont pas autorisés à prêcher le salafisme. L’opinion selon laquelle les musulmans ne peuvent pas se mêler aux non-musulmans reste marginale.

En Europe occidentale, cette opinion se traduit par le message que les musulmans doivent émigrer vers un pays islamique, puisqu’ils ne peuvent pas vivre dans un “pays mécréant”. Comment est-il dès lors possible qu’ils s’intègrent dans la société belge ? Non seulement cette interprétation des concepts de l’islam est-elle erronée, mais elle est également nocive pour la société belge.

Les idées extrémistes nourries par certains musulmans, les personnes incitant les jeunes à rejoindre l’EI en Syrie, la vague d’attentats terroristes et d’islamophobie qui en découle … Autant de wake up calls alarmants.

‘L’intégration des musulmans bosniens dans des États séculiers remonte à 1878. À aucun moment nous n’avons demandé le rétablissement des tribunaux de la charia.’

Une interprétation erronée des concepts de l’islam. De quels concepts, au juste ?

Razim Čolić : Selon l’école de droit musulman (madhhab) des Hanafites, les musulmans peuvent vivre dans un pays séculier dont le dirigeant politique n’est pas musulman. L’intégration des musulmans bosniens dans des États séculiers remonte à 1878.

Les juristes musulmans (oulémas) de Bosnie ont voué des livres entiers à la question de l’adaptation des musulmans à la transition de l’Empire ottoman musulman vers celui d’une Autriche-Hongrie catholique. Finalement ; il fut décidé que les musulmans de Bosnie avaient l’autorisation de servir dans l’armée austro-hongroise. Fin de la discussion.

Sous l’empire austro-hongrois, les musulmans de Bosnie étaient même justiciables de tribunaux de la charia reconnus. Avec le communisme de la Yougoslavie, ils furent supprimés. Depuis la chute du communisme, à aucun moment nous n’avons demandé le rétablissement des tribunaux de la charia. Les temps changent, nous changeons avec eux.

© Pieter Stockmans​

L’hôtel de ville de Sarajevo fut construit au XIXe siècle sous l’administration austro-hongroise, dans le style mauresque. Sa construction avait pour but de s’assurer la loyauté des musulmans bosniens, sans adopter le style architectural ottoman.

© Pieter Stockmans​​

C’est ce que les communautés musulmanes d’Europe occidentale doivent faire ? S’adapter ?

Razim Čolić : Se réformer. Se réformer ou être balayés. Le régime communiste de Yougoslavie s’accompagna d’un athéisme agressif, mais nous y avons survécu. À chaque fois, la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine a pu s’adapter à des circonstances nouvelles ; ce fut la clé de notre survie.

Les communautés musulmanes d’Europe n’ont pas le choix, elles doivent développer une approche réformatrice de l’islam, comme nous l’avons fait.

Les wahhabites et les salafistes, à l’inverse, s’accrochent à des interprétations et à des pratiques séculaires.

Razim Čolić : Et c’est leur droit. En Europe, toutefois, ce type d’interprétation ne peut pas s’imposer. Nous devons reconnaître notre problème. Les différentes communautés musulmanes d’Europe occidentale ont chacune leur propre interprétation de l’islam et sont chacune leur propre autorité en matière de connaissance de la religion.

En Bosnie, ce n’est pas envisageable. Nous n’avons qu’une seule organisation transparente et une seule source officielle de connaissance : le grand mufti.

Bien entendu, nous faisons partie de l’umma, la communauté musulmane mondiale, mais nous n’appartenons pas aux autorités religieuses transnationales. Nous sommes une autorité européenne, intégrée dans les contextes européen et bosnien.

D’autres écoles du droit musulman, comme le wahhabisme, ne parviennent pas à s’imposer. La Communauté islamique surveille toutes les mosquées, forme tous les imams sur le territoire même de la Bosnie ; seul le grand mufti peut les nommer.

Il y a dix ans, suite aux attentats terroristes de New York, Madrid et Londres, le grand mufti de Bosnie-Herzégovine de l’époque, Mustafa Cerić rédigeait sa Déclaration des musulmans européens. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer.

Razim Čolić : Oui, mais aujourd’hui, nous assistons à quelque chose de nouveau. L’EI dirige ses attaques contre les non-musulmans, mais aussi contre les musulmans. Cela devrait nous réunir. Tous ensemble, nous avons l’obligation de protéger l’idée de l’Europe. Les musulmans d’Europe doivent prendre le terrorisme au sérieux, au nom de leur confession. Ses conséquences peuvent en effet menacer leur vie sur le vieux continent et leur sécurité.

Réunir toutes les communautés musulmanes sous une seule et même structure

© Pieter Stockmans​

Razim Čolić, bras droit du grand mufti de Bosnie-Herzégovine

© Pieter Stockmans​​

Quelle est la structure de la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine ?

Razim Čolić : Nous répondons à une autorité centrale, tous les oulémas sont hiérarchisés. À la base de cette hiérarchiese trouvent les 1 700 mosquées. Un ensemble de sept jama’ahs, villages, forme un majlis, un conseil local.

Le pays entier est divisé en huit muftiats, régions où s’exercent l’autorité d’un mufti, un jurisconsulte disant la foi musulmane. Un grand mufti, le Raisu-l-Ulama, les préside.

Le grand mufti est à la tête d’un gouvernement de ministres, le Riyasat, dont je fais partie. Nous sommes responsables de l’administration de la communauté et du règlement des affaires religieuses au quotidien : les rituels, l’enseignement de la foi, la recherche, le patrimoine, la gestion des intérêts, le dialogue interreligieux et les relations internationales.

Nous avons même notre propre Cour constitutionnelle pour l’interprétation des textes religieux. La constitution de la Communauté islamique dicte par exemple que nous devons nous insérer dans l’État de droit de Bosnie-Herzégovine, une démocratie séculière. Chacune de ces institutions élit tous les quatre ans ses membres lors d’élections démocratiques. Tant les femmes que les hommes peuvent se porter candidat. Les élus ne peuvent renouveler leur mandat qu’une seule fois ; cette règle s’applique également au grand mufti.

‘Un groupe reconnaît l’autorité de La Mecque, l’autre celle de Al-Azhar au Caire, un troisième celle d’Istanbul ou d’Ankara, etc. Non. À partir de maintenant, vous êtes des musulmans belges. Soumettez-vous à un mufti belge.’

Avez-vous déjà offert aux fonctionnaires de l’UE de leur apporter votre expertise de la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine ?

Razim Čolić : Si vous êtes à la recherche d’un modèle européen, éprouvé au fil des siècles, vous le trouverez chez nous. Nous nous sommes rendus en Norvège et Suède pour parler aux représentants de l’État et de l’Église. En mai prochain, le grand mufti rencontrera le ministre allemand des Affaires étrangères, Walter Steinmeier. Il demandera peut-être notre aide pour la finaliser la structuration d’une Communauté islamique d’Allemagne. Nous l’avons déjà fait en Autriche, lors du vote de la nouvelle Islamgesetz, il y a deux ans de cela.

En février 2015, l’Autriche votait une nouvelle loi sur l’islam. Cette loi définit les droits et les devoirs des musulmans autrichiens. Parmi leurs devoirs, celui pour la Communauté islamique de n’organiser ses activités religieuses qu’au moyen de financements internes au pays, telles les cotisations de ses membres. Tout financement étranger est interdit. La formation des imams d’Autriche a lieu en allemand et ils doivent prêcher en allemand. Par cette loi, la prolifération de doctrines religieuses du fait d’associations islamiques autonomes n’est plus possible. En contrepartie, les musulmans autrichiens obtiennent des droits, comme celui de procéder à des abattages rituels : la Communauté islamique d’Autriche peut organiser la production de viande et d’autres produits alimentaires dans le respect de ses préceptes religieux. On retrouve la même formulation dans la loi autrichienne sur le judaïsme. Les jours fériés de l’islam font aussi l’objet d’une réglementation et peuvent être négociés entre les partenaires sociaux. L’Autriche a introduit la théologie islamique à l’université de Vienne. L’Italie voisine, où vivent 1,4 million de musulmans, ne reconnaît à l’heure actuelle pas l’islam. La semaine passée, le ministère de l’Intérieur italien et neuf associations islamiques d’envergure ont signé un accord, le “pacte pour un islam italien”.

La Bosnie ne compte qu’une seule communauté de musulmans ; la Belgique en a des dizaines : des Syriens et des Iraquiens, des Pakistanais, des Marocains, des Turcs. Chacun d’une culture différente.

Razim Čolić : C’était également le cas en Autriche. Pourtant, toutes ces communautés doivent s’organiser en une seule communauté islamique. En effet, les Marocains et les Turcs doivent travailler ensemble. Ils ne peuvent plus continuer à s’enfermer dans leur communauté : ils sont avant tout des citoyens de l’État belge. Ils doivent occuper leur responsabilité au sein de la société belge.

Il n’est pas acceptable qu’un groupe reconnaisse l’autorité de La Mecque, l’autre celle de Al-Azhar au Caire, un troisième celle d’Istanbul ou d’Ankara, etc. Non. À partir de maintenant, vous êtes des musulmans belges et vous vous soumettez à un mufti belge. Je comprends les Européens qui craignent les structures opaques, en particulier lorsqu’ils ne peuvent exiger des explications auprès de personne.

Dans toutes les sociétés, les droits découlent de responsabilités et d’obligations. La loi permet aux citoyens de vivre ensemble dans le calme et l’harmonie. Promulguez une loi dans l’esprit de l’Islamgesetz d’Autriche. Définissez les conditions d’association des musulmans. Dans ces conditions, s’ils ne s’y tiennent pas, la Sûreté de l’État pourra intervenir.

Les musulmans bosniens de Belgique reconnaissent pourtant l’autorité de la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine, non ?

‘L’interdiction du port du voile est un exemple de l’hystérie régnant en Europe.’

Razim Čolić : En réalité, ils devraient d’abord se soumettre à une autorité musulmane en Belgique. De plus, la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine est transparente, ses leaders peuvent être interpellés publiquement pour des questions de responsabilité.

Si un imam bosnien viole la loi belge en Belgique, l’État belge peut contacter notre grand mufti et lui demander des explications. Nous nous portons responsables. Chaque État détient le droit d’assurer le maintien de l’ordre et de la sécurité. Plus les lois seront précises, moins il y aura de malentendus.

L’État a-t-il alors aussi le droit d’interdire le port du voile, par exemple dans les écoles publiques ?

Razim Čolić : Les États doivent respecter les droits de l’Homme en toutes circonstances. L’État de droit, la démocratie séculière, autorise les pratiques religieuses tant qu’elles ne constituent pas une atteinte aux droits ou à l’existence des autres. S’il ne les tolère pas, il fait montre d’hystérie et d’exercice irraisonné de son pouvoir sur les citoyens. L’interdiction du voile témoigne de cette hystérie en Europe.

Gérer les intérêts et les droits des musulmans

© Pieter Stockmans​

La Mosquée impériale de Sarajevo d’origine remonte à 1462. Le cabinet du grand mufti et de ses collaborateurs y siège.

© Pieter Stockmans​​

La défense de ses membres incombe-t-elle à la Communauté islamique ?

Razim Čolić : Oui, c’est l’une de ses tâches. La Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine a une Commission de la liberté religieuse compétente pour entreprendre des démarches juridiques lorsque nous recevons des plaintes de nos membres, par exemple lorsqu’une musulmane portant le voile est discriminée sur le marché du travail. Dans ce genre de cas, nous leur fournissons une assistance juridique.

Ce faisant, nous luttons contre la radicalisation violente : par la défense des intérêts et des droits de nos membres, nous consolidons notre crédibilité au sein de notre communauté, tout en nous assurant que les protestations ne transgressent pas les frontières de l’État de droit démocratique. Une organisation transparente dans un État de droit nous permet d’employer le cadre des droits de l’Homme dans son ensemble pour faire valoir nos droits. Nous épuisons toutes les voies de recours.

Qu’advient-il une fois toutes les voies de recours épuisées, si les autorités ou la discrimination ne changent pas ?

Razim Čolić : Il faut alors l’accepter, ou essayer à nouveau. L’État de droit est le derniers recours, il n’en existe pas d’autre. Toute forme de violence est exclue.

L’islamophobie croissante vous inquiète-t-elle ?

‘Nous devons tout mette en œuvre pour que l’Europe conserve sa liberté. Il nous faut contrôler l’extrême-droite en luttant ensemble, musulmans et non-musulmans, croyants et non-croyants, contre la haine.’

Razim Čolić : Je suis les élections en Europe occidentale. Même si l’extrême-droite venait à gagner, elle ne pourrait pas non plus contourner l’État de droit. Le muslim ban de Trump l’a démontré. Cela dit, j’ai conscience que de nombreux Américains et Européens sont anti-islam. Cela m’inquiète, bien entendu.

L’Europe est depuis des siècles le centre du monde. Aucun continent de cette planète n’est comparable à l’Europe et à ses citoyens libres vivant ensemble malgré des bagages culturels si divers. Ici, nous avons en tant que musulmans plus de droits que nulle part ailleurs dans le monde. Nous devons tout mette en œuvre pour que l’Europe conserve sa liberté. Il nous faut contrôler l’extrême-droite en luttant ensemble, musulmans et non-musulmans, croyants et non-croyants, contre la haine.

Entre-temps, le terrorisme anti-islam a fait son apparition.

Razim Čolić : Nous devons mettre nos extrémistes sous les verrous, mais les autres communautés doivent en faire de même avec les leurs. La liberté implique la responsabilité. Cela vaut pour tout le monde. Espérons que l’hystérie se lève rapidement. En Bosnie, l’hystérie reste limitée. Serait-ce là la raison pour laquelle seule une petite minorité des musulmanes portent le voile ? À peine plus de cinq pour cent.

En parlant de cela, quelle est la position de la Communauté islamique en ce qui concerne la liberté de choix de la femme ?

Razim Čolić : Après la chute du communisme, nous aurions pu nous servir de la liberté religieuse nouvellement acquise pour imposer aux femmes le port du voile. Pourtant, nous ne l’avons pas fait. La foi est une question personnelle entre Dieu et le croyant.

Libérées de cette pression continue sur ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas porter, les femmes feront elles-mêmes un choix conscient, vous verrez. Si elles décident de ne pas porter le voile, nous respectons leur choix. Si elles décident de le porter, tout le monde doit le respecter également. À nos yeux, chacun est libre de ne pas croire.

Si les musulmans de Bosnie ne sont pas obligés de faire partie de la Communauté islamique, comment expliquez-vous que des politiciens de haut vol aient déclaré à l’occasion du Sarajevo Queer Festival 2008 que l’homosexualité est une déviance ? Ils ont cultivé un climat de haine qui a donné lieu à des scènes de violence : des salafistes et des hooligans s’en sont pris aux visiteurs. Notre ministre de la Justice a déclaré la semaine dernière que ‘la reconnaissance de l’homosexualité doit faire partie de l’islam en Europe.’

Déclaration de Bakir Izetbegovic, l’actuel président et ancien leader de la Délégation bosnienne de l’assemblée parlementaire au Conseil de l’Europe : ‘Ces personnes ont droit d’avoir leur propre orientation sexuelle, ou plutôt leur désorientation. Qu’elles s’enferment et fassent ce que bon leur semble. Mais elles ne peuvent pas la populariser et la répandre comme la nouvelle norme, y entraîner d’autres et influencer la jeunesse.’

Razim Čolić : Toutes les religions s’accordent à dire que la sexualité est une affaire entre un homme et une femme. Ceux d’une orientation sexuelle différente en ont tous les droits, mais ne doivent pas la rendre publique. Pourquoi veulent-ils imposer cette identité ?

Ils ne l’imposent pas. Ils se montrent pour plaider en faveur de la tolérance et de la reconnaissance. N’est-ce pas ce que les musulmanes font lorsqu’elles portent le voile, exprimer leur identité en public sans pour autant l’imposer aux autres ?

Razim Čolić : Les détracteurs du voile ont cependant le droit de protester et de clamer que le voile menace la société. Naturellement, ils n’ont pas le droit de les lapider. Nous avons également le droit de dire que le mouvement LGBT va à l’encontre de nos valeurs. Nous n’avons pas nous plus le droit de leur jeter la pierre. Par après, nous avons identifié ces groupes violents ; il s’agissait de salafistes extrémistes refusant de se rallier à la Communauté islamique.

La Communauté islamique a-t-elle appelé au calme et à la manifestation pacifique des protestations ?

Razim Čolić : Absolument. Tous les muftis du pays se sont réunis pour aborder la question de l’homosexualité. Voici la position à laquelle tous les musulmans de la Communauté doivent se conformer : “Nous estimons que la sexualité concerne ce qui existe entre un homme et une femme, mais nous demandons à nos membres de faire entendre leur voix uniquement de manière pacifique et à ne nuire ou à n’attaquer personne.” Quiconque ne respectant pas ce minimum sort de la Communauté islamique.

Le fait que nous représentions la Communauté islamique est un avantage. Sans cela, des débats de ce genre se prolongeraient éternellement et les extrémistes violents finiraient par faire leur apparition dans les médias. Les islamophobes pourraient les utiliser pour prétendre qu’ils représentent tous les musulmans. Cela nuirait particulièrement à notre image.

Couper les financements venus de l’étranger

© Pieter Stockmans​

La Mosquée de Gazi Husrev-bey, à Sarajevo, est la plus grand et la plus ancienne des mosquées de Bosnie-Herzégovine, avec son école secondaire islamique du XVIe siècle.

© Pieter Stockmans​​

En tant qu’ancien ambassadeur de Bosnie-Herzégovine en Arabie saoudite, vous connaissez bien la situation de ce pays. En Belgique, le financement saoudien de certaines mosquées suscite le débat. Une importante somme d’argent servirait à la propagation du wahhabisme conservateur. Si la communauté des musulmans de Belgique venait à s’organiser comme celle de Bosnie, qu’adviendrait-il de ce financement étranger ?

Razim Čolić : J’ai visité le Centre islamique de Bruxelles. Je sais que l’Arabie saoudite le soutient. Cependant, les flux de capitaux étrangers vers la Belgique doivent cesser. Les membres de la Communauté islamique de Belgique doivent eux-mêmes assurer le financement de leurs institutions, via des cotisations, ou se contenter du soutien de l’État belge. Nous fonctionnons de cette manière en Bosnie, avec un compte en banque transparent.

**‘**Les manœuvres depuis l’étranger doivent prendre fin. Tout changement politique des autorités turques a des conséquences dans votre pays, sans que vous ne puissiez les contrôler.’

L’organisme public turc Diyanet finance des mosquées et envoie des imams turcs à l’étranger, Bosnie, Autriche et Belgique comprises. Que s’est-il passé lorsque l’Autriche a mis fin au financement de l’étranger ?

Razim Čolić : L’État autrichien nous a demandé de l’aide, parce que nous ne recevons aucun transfert structurel de l’étranger. La communauté des musulmans turcs en Autriche a intenté une action en justice contre l’État, qu’elle a perdu. Le président actuel de l’Islamische Organisationen in Österreich est un Turco-allemand ; son vice-président, un allemand d’origine bosnienne.

Les manœuvres depuis l’étranger doivent prendre fin. Tout changement politique des autorités turques a des conséquences dans votre pays, sans que vous ne puissiez les contrôler.

Former les imams en Europe

© Pieter Stockmans​

La faculté d’études islamiques de Sarajevo fut construite au XIXe siècle sous l’administration austro-hongroise, dans le style mauresque. Sa construction avait pour but de s’assurer la loyauté des musulmans bosniens, sans adopter le style architectural ottoman.

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Cela s’applique donc aussi à la formation des imams ?

Razim Čolić : L’enseignement de l’islam en Europe doit être réformé, les instituts religieux doivent contrôler plus strictement ce que prêchent les imams. Depuis le XIXe siècle, la Communauté islamique de Bosnie-Herzégovine dispose de sa propre faculté d’études de l’islam à Sarajevo. Elle est la plus importante et la plus ancienne institution de l’enseignement de l’islam en Europe. Nous avons également une bibliothèque datant du XVe siècle et une école secondaire islamique, du XVIe siècle.

‘Nous n’avons pas encore de liens avec les universités belges. Nous espérons que cela changera à l’avenir.’

Concrètement, comment pourraient s’organiser la formation des imams en Europe ?

Razim Čolić : En Europe, des centres académiques sont nécessaires à la formation d’imams, dans un contexte historique européen. La faculté d’études de l’islam de Sarajevo pourrait remplir ce rôle. La Commission européenne nous a déjà soumis des propositions.

L’Allemagne et l’Autriche connaisse bien notre faculté, car nos liens avec ces eux pays sont forts. Nos professeurs enseignent dans les universités allemandes et autrichiennes. Nous invitons leurs professeurs à nos conférences. Nous n’avons pas encore de liens avec les universités belges. Nous espérons que cela changera à l’avenir.

Traduction: Marie Gomrée