Au niveau international, le Congo est l'un des premiers pays en matière de lutte contre la déforestation. Cependant, si son gouvernement n’accélère le mouvement qu’aujourd’hui, c’est en grande partie en raison des difficultés d’établir et de mener à bien une politique ambitieuse dans le contexte instable de la RDC.
Kapupu Diwa Mutimanwa, à gauche, et deux de ses collègues de LINAPYCO
© Bram Cleys
Les bureaux de LINAPYCO, la Ligue nationale des associations autochtones du Congo, occupent deux pièces d’un modeste bâtiment de Ma Campagne, un quartier de Kinshasa. Mon rendez-vous avec son président et fondateur, Kapupu Diwa Mutimanwa, est repoussé d’au moins deux heures. Une averse torrentielle a bloqué toute circulation automobile dans la capitale.
Kapupu est un homme charismatique ; il a participé à la constitution d’une série d’organisations qui plaident la cause des groupes autochtones d’Afrique centrale. Pendant notre entretien, il me confiera ne pas adhérer à ce concept. ‘Toutes les organisations internationales venues parler des groupes autochtones ne voulaient pas entendre le mot pygmées. Personnellement, j’ai toujours voulu valoriser ce terme, parce qu’il nous caractérise. C’est pourquoi j’ai baptisé ma première organisation de défense des groupes autochtones PIDEPP Kivu, pour Programme d’intégration et de développement du peuple pygmée du Kivu.’
‘Votre “développement”, c’est pourtant lui le responsable de la déforestation, non ?’
Son caractère non-conformiste s’exprime encore lorsqu’il aborde le sujet de la politique REDD+ de son gouvernement. ‘Les populations autochtones du Congo, ce sont elles les véritables expertes forestières. Elles savent à quelle saison chasser ou pêcher, et quelles espèces. Si cette responsabilité nous était confiée, à la communauté locale ou à la population autochtone, REDD+ pourrait être une bénédiction. Mais si l’on continue à nous imposer des décisions prises à Kinshasa, il ne faut pas s’attendre à de grands résultats. On nous présente des spécialistes, mais d’où viennent-ils ? Quel est le but de leur visite, nous apprendre comment faire ? Comme si c’était eux qui avaient préservé les arbres durant des siècles et des siècles. Votre “développement”, c’est pourtant lui le responsable la déforestation, non ?’
En sa qualité de vice-président du groupe de travail climat REDD+, Kapupu Diwa Mutimanwa s’intéresse de près aux retombées positives de ce mécanisme pour la population autochtone. D’après lui, le principal problème est que le gouvernement ne reconnaît pas les communautés autochtones. Par conséquent, aucun des chefs de terre n’appartient à l’un de ces groupes. Et leurs terres ancestrales ne sont pas reconnues. Il n’est par ailleurs pas impossible que les terres utilisées pour des plantations agroforestières ou des zones boisées protégées dans le cadre de projets REDD+ appartiennent à des groupes autochtones.
Nombreux sont les activistes et les scientifiques à avoir déjà émis ces avertissements. La mise en place des projets REDD+ dépend des structures décisionnelles existantes (qu’il s’agisse des chefs de terre, des conseils provinciaux ou autre) ; ils risquent par conséquent de renforcer les inégalités et la marginalisation déjà établies.
LINAPYCO
© Bram Cleys
La chercheuse Camille Reyniers a, comme quelques-uns de ses collègues, étudié les répercussions des projets REDD+ sur les dynamiques locales du Congo. Avant mon départ pour le Congo, nous en avons discuté sur une terrasse du Parvis de Saint-Gilles. Pour son doctorat en anthropologie à l’ULB, elle a notamment étudié les conséquences d’un projet REDD+ plus modeste sur les dynamiques de pouvoir d’un village du Sud Kwamouth, un des districts de l’actuelle province de Mai-Ndombe.
L’occupation des sols des villages du Sud Kwamouth est plus complexe qu’il n’y paraît.
L’étude de Camille Reynier démontre que l’occupation des sols des villages du Sud Kwamouth est plus complexe qu’il n’y paraît. Ses recherches lui ont permis de découvrir que des terrains enregistrés comme propriété officielle des chefs de terre sont en réalité exploités par des migrants partis de Kinshasa par manque de moyens. Ces métayers donnent une part de leurs récoltes, principalement du bois, aux propriétaires fonciers qui leur accordent en échange le droit de travailler la terre.
Ces contrats n’étant pas officiels, ils émergent rarement dans les débats avec d’autres acteurs, par exemple les responsables d’un projet REDD+. Or, il est essentiel de prêter attention aux ramifications des pouvoirs entre le niveau local et le régional lors du lancement de tels projets.
État faible
Cela étant, les défis ne se limitent pas aux niveaux étatiques inférieurs. À l’échelle nationale, la fragilité de l’État représente un risque permanent pour la mise en œuvre de la politique REDD+. Le programme approuvé par la province de Mai-Ndombe l’année passée avait initialement été développé pour deux districts de l’ancienne vaste province de Bandundu.
En 2015, la décentralisation annoncée des années plus tôt a enfin eu lieu. La responsabilité du programme revient donc au tout nouveau conseil provincial. Les documents de présentation du programme annoncent avec optimisme la création de la nouvelle province : ‘Il s’agit d’une occasion unique de faire coïncider les priorités de développement avec les opportunités qu’apporte le programme. Les premières activités économiques de la nouvelle province dépendent en effet de l’exploitation forestière.’
La réalité du terrain s’avère plus complexe que la présentation qu’en font les rapports ; Hicham Daoudi, responsable du projet PIREDD du WWF, en a bien conscience. Ce projet intégré est la première mise en pratique du programme REDD+ à Mai-Ndombe. Parmi ses objectifs figure non seulement la plantation de 5 000 hectares répartis dans les différents villages, mais aussi la consolidation des compétences des services techniques provinciaux.
Kapupu Diwa Mutimanwa, à gauche, et deux de ses collègues de LINAPYCO
© Bram Cleys
‘Avant toute chose, nous devons renforcer leurs compétences et les intégrer dans toutes les facettes du projet. Nous avons évalué leur fonctionnement et listé le matériel dont ils ont besoin, afin de pouvoir l’acheter : des motos, du matériel de bureau, etc. Plus important encore, nous leur versons des primes d’incitation. En effet, l’État leur paie un maigre salaire. Tous travaillent en parallèle de leur travail officiel, pour survivre. Dans ces conditions, je ne suis pas certain que quiconque soit en mesure de faire son travail. C’est pourquoi le projet leur verse ces incitants ; ils leur garantissent un salaire décent pour leur travail chez nous.’
Au terme du projet, en 2019, les différents services techniques de la province devront en principe reprendre les activités du projet sur leurs épaules. En seront-ils capables ? Cette question reste en suspens. Quant aux autorités congolaises, auront-elles la volonté et la capacité de faire de REDD+ un instrument au service tant de la préservation des immenses réserves boisées que de la population locale dans toute sa diversité ?
Les raisons de se méfier ne manquent pas. L’actuelle crise politique du pays, qui permet de douter de combien de temps tiendra la confiance les donateurs internationaux, n’est que la première. Les atermoiements qui ralentissent la mise en œuvre effective de la décentralisation éveillent eux aussi la méfiance. Beaucoup d’institutions et de services provinciaux attendent toujours les bras et les moyens qui leurs avaient été promis.
Sous prétexte d’un manque de moyens, une grande campagne de sensibilisation a été annulée.
Jusque dans la manière de mettre en pratique la politique REDD+, des signes indiquent que les autorités congolaises ne font pas tout à fait preuve de franchise dans leurs explications bienveillantes. Un exemple : l’organe national de coordination de la politique REDD+, CN-REDD, a refusé d’exécuter un plan de communication, élaboré en concertation avec la société civile. Il portait sur le lancement d’une grande campagne de sensibilisation ayant entre autre pour objectif de modifier la manière dont la population interagit avec les forêts. Sous prétexte d’un manque de moyens, la campagne n’a pas abouti.
De plus, de l’avis général des experts, les connaissances, l’expertise et le goodwill de REDD+ semblent se cantonner à CN-REDD et ne bénéficient pas d’un soutien suffisant des autres ministères et sphères du pouvoir. Un point que soulève Théodore Trefon, chercheur confirmé du musée d’Afrique de Tervuren, dans son excellent ouvrage intitulé Congo’s environmental paradox.
Aux côtés de ministères comme celui des Mines, le CN-REDD ne fait souvent pas le poids au sein du large appareil étatique.
Bien que les collaborateurs du CN-REDD reçoivent un important soutien de l’ONU, de la Banque mondiale et d’autres donateurs internationaux, ils ne font souvent pas le poids au sein du large appareil étatique aux côtés de ministères comme celui des Mines, qui brassent plus d’argent et, partant, plus d’intérêts. Pourtant, ils requièrent le soutien inconditionnel d’autres ministères pour pouvoir exécuter une politique REDD+ dynamique ; un besoin qu’a démontré la réalisation partielle de la décentralisation.
Par ailleurs, REDD+ représente peut-être l’occasion idéale de renforcer l’État congolais. Alain Karsenty, expert forestier du CIRAD, l’agence française pour la recherche agronomique et le développement, signale qu’outre le programme Mai-Ndombe financé par la Banque mondiale, une nouvelle initiative a vu le jour : l’initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI).
Le CAFI est un nouveau partenariat entre divers donateurs, dont l’Union européenne et la Norvège, et les pays du bassin du Congo. En avril 2016, ils ont signé un accord avec le gouvernement congolais. Ces acteurs souhaitent mettre en place des réformes significatives. ‘Il est trop tôt pour une évaluation de l’initiative et leurs moyens restent limités, mais l’ambition systémique est intéressante. Le modèle CAFI vise à intervenir dans la politique nationale, par exemple en matière d’occupation des sols, de démographie, d’agriculture, d’aménagement du territoire, etc. Leur ambition est de parvenir à une gestion cohérente des causes de la déforestation. C’est à cette échelle que le problème doit être attaqué.’
Là aussi, l’initiative devra faire ses preuves sur le terrain et ne pas se contenter de belles promesses sur papier. Si le mécanisme REDD+ réussit à convaincre le gouvernement de mettre en place une réelle politique foncière, avec un registre transparent liant les terres à leur propriétaire et leur utilisation, une véritable protection des droits fonciers et une compensation pour la partie perdante d’une plainte contestée, son impact outrepassera la problématique de la protection des ressources forestières.
Financement
Beaucoup de critiques estiment que ces commentaires sur la mise en œuvre de REDD+ ne sont pas la priorité dans le contexte d’un État faible comme le Congo. Le principe de récompenses financières pour les États qui réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre leur pose un problème fondamental. Concrètement, ces récompenses prennent souvent la forme de rachat de crédits carbone, qui correspondent aux émissions de gaz à effet de serre économisées grâce aux activités de REDD+.
Le programme de Mai-Ndombe utilisera également ce mécanisme. Si ses activités atteignent leurs objectifs, le Carbon fund de la Banque centrale rachètera des crédits pour 15 millions de tonnes de carbone en 2022, quand le programme touchera à sa fin. Le prix de ces crédits est négocié en ce moment même.
Dans ce cas, les crédits carbone servent en premier lieu à récompenser des pays comme le Congo pour leurs efforts dans le domaine de la préservation des forêts.
Les crédits carbone servent en premier lieu à récompenser des pays comme le Congo pour leurs efforts dans le domaine de la préservation des forêts.
Bobulix (CC BY-?C-ND 2.0)
Il y a quelques années de cela, ces crédits suscitaient une crainte fondée que d’autres États n’y voient une occasion de racheter leurs engagements en matière de réduction des émissions. À la suite des réformes du mécanisme REDD+ dans le cadre de la CCNUCC, cette crainte semble s’être dissipée. L’accord de Paris n’engage plus uniquement les pays développés, mais exige des efforts de réduction des émissions de la part de l’ensemble de ses membres.
L’économie d’émissions grâce à la révision de sa politique est d’ores et déjà un élément essentiel des propositions du Congo dans ce domaine. Les éventuels crédits restants, ceux que la Banque mondiale ne rachèterait pas, ne pourront être mis en vente que sur les marchés volontaires. Pourtant, ces marchés connaissent depuis des années un déséquilibre entre une offre démesurée de crédits et un manque criant de demande de la part d’entreprises et des autres acteurs.
Cependant, et bien que les crédits carbones ne soient pas tout de suite utilisés pour compenser les émissions d’autres régions du monde, ce mécanisme pose un problème fondamental.
Pour établir le nombre de crédits carbone qu’un programme REDD+ a obtenu, les émissions sont calculées dans une optique de non-intervention. ‘Or, ces scénarios n’ont pas de base solide’, avertit Alain Karsenty. ‘Ils n’ont rien de scientifique. La multitude de paramètres impliqués rend impossible d’évaluer de manière fiable les émissions provoquées par la destruction ou la dégradation des forêts en 2030, par exemple.’
Cette faille essentielle du mécanisme, il est loin d’être le seul à la signaler. Quand je la mentionne au cours d’un entretien avec Antoine Drouillard, il acquiesce immédiatement. Aujourd’hui consultant indépendant, il était jusqu’en 2016 le bras-droit de Victor Kabengele, le directeur de l’organe de coordination nationale de REDD+. DQuadn il revêtait cette fonction, il fut responsable de la rédaction du document de présentation du programme Mai-Ndombe.
‘Quand le programme touchera à sa fin en 2022, nous devrons sans aucun doute passer en revue son scénario, aujourd’hui considéré business-as-usual, pour évaluer si ses lignes directrices tiennent encore la route. Ce n’est qu’à ce moment que nous pourrons mesurer les quantités réelles de gaz non-émis.’
Quelles sont les possibilités de résultats tangibles et durables dans un pays où les obstacles écrasent les opportunités ?
Il plaide en outre pour une réforme radicale du système et voit dans les projets du Green climate fund une opportunité d’attirer des financements basés sur les résultats, en plus des emprunts et des dons. ‘Les projets REDD+ seraient également concernés par cette possibilité. Puisqu’il s’agit d’une source de financement inédite, c’est l’occasion rêvée de changer les règles, de les simplifier en profondeur. Par exemple, nous pourrions prendre en compte le nombre d’hectares de forêts créés ou réaménagés.’
La question de savoir si ce principe de financement basé sur les résultats peut rencontrer un réel succès dans le contexte d’un État aussi fragile que le Congo reste intacte. Quelles sont les possibilités de résultats tangibles et durables dans un pays où les obstacles écrasent les opportunités ? Dans un pays où l’État de droit reste vulnérable, l’infrastructure bancale, les droits fondamentaux non respectés et non reconnus, etc.
À nous de nous demander si le choix de focaliser l’attention sur les résultats obtenus ne détourne pas l’attention de la nécessité de réformes fondamentales pour non seulement garantir ces résultats sur le long terme, mais aussi pour les rendre accessibles à toutes les couches de la population, équitablement. Dans cette optique, le plaidoyer d’Alain Karsenty pour donner la priorité à des initiatives qui, comme le CAFI, misent sur une approche systémique est défendable. Il suffirait que la République démocratique du Congo sorte la préservation forestière et la lutte contre le dérèglement climatique de son carcan et l’intègre dans une politique de développement plus large et un programme de reconstruction de l’État pour qu’elles bénéficient tant au pays lui-même qu’aux Congolais.
Traduction : Marie Gomrée
Ce dossier est paru dans le cadre des ‘Flux monétaires de MO*’. MO* a décidé de convertir son budget marketing en une enveloppe consacrée au journalisme d’investigation. Ces moyens ont permis de financer ce dossier.