La Belgique en eaux profondes

Reportage

Comment la Belgique s’est muée en un redoutable acteur des grands fonds marins

La Belgique en eaux profondes

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La Belgique en eaux profondes

Au cours de la dernière décennie, la Belgique a réussi à s’introduire dans le club restreint des pionniers de l’exploitation minière en haute mer. Global Sea Mineral Resources, une filiale du groupe de dragage DEME, a ouvert la voie. Le risque est grand que cette nouvelle industrie cause des dommages irréparables à l’océan. Plusieurs sociétés se livrent en ce moment à des activités d’exploration. Doivent-elles accéder à l’exploitation minière ? Le débat de société ne fait que commencer. Dans ce dossier, beaucoup de choses se passent en coulisses, sans que le grand public ne sache exactement ce qui s’y trame. Heureusement, la Belgique n’est pas encore une république bananière. Le mouvement écologiste est préoccupé par cette question et ses arguments font mouche auprès des fonctionnaires. Reste l’aspect politique.

© Dos winkel

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Au cours de la dernière décennie, la Belgique a réussi à s’introduire dans le club restreint des pionniers de l’exploitation minière en haute mer. Global Sea Mineral Resources, une filiale du groupe de dragage DEME, a ouvert la voie. Le risque est grand que cette nouvelle industrie cause des dommages irréparables à l’océan. Plusieurs sociétés se livrent en ce moment à des activités d’exploration. Doivent-elles accéder à l’exploitation minière ? Le débat de société ne fait que commencer. Dans ce dossier, beaucoup de choses se passent en coulisses, sans que le grand public ne sache exactement ce qui s’y trame. Heureusement, la Belgique n’est pas encore une république bananière. Le mouvement écologiste est préoccupé par cette question et ses arguments font mouche auprès des fonctionnaires. Reste l’aspect politique.

Après avoir récolté tout le guano de l’île de Clipperton, l’American Phosphate Company l’a abandonnée en l’état. Les hommes de la garnison mexicaine sont également partis. Leur sloop a disparu au large des côtes. Seuls le gardien du phare, trois femmes et quelques enfants sont restés sur place. Ils ne pouvaient pas retourner sur la terre ferme mexicaine, où la révolution était en cours.

Le gardien de phare s’est mué en tyran. Mais en 1917, l’une des trois femmes l’a tué à coup de marteau sur le crâne. À ce moment, un croiseur américain est apparu à l’horizon, a libéré les survivants et les a ramenés à terre. Ce fait divers a fait la une des journaux. Aujourd’hui, seuls les crabes de cocotier vivent encore sur l’île, où il paraît que leurs carapaces nimbent l’atoll d’un voile orange.

Clipperton n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Mais aussi insignifiante soit-elle, cette île en forme d’anneau gisant à l’ouest du Mexique a toujours fait l’objet de litiges. Parce que ce monde ne se satisfait pas de quelque chose qui ne sert à rien.

La France a déclaré avoir découvert Clipperton et a annexé l’atoll dans les années 1930. Paris estimait que Clipperton appartenait à Tahiti, bien qu’elle soit située plus de 5000 kilomètres à l’ouest.

Pendant la guerre de 40-45, le président américain Franklin D. Roosevelt a « emprunté » l’atoll, sans rien demander aux Français, et y a fait construire des installations militaires. Il existe un document top secret de près de 300 pages sur ce projet, dans lequel des cartes et des passages entiers sont censurés. Par contre, aucune trace de ce qui a pu se passer en haute mer, au large de Clipperton. Personne n’avait jamais pensé que des métaux pouvaient être extraits du fond de l’océan. C’est un peu différent aujourd’hui.

La dernière zone vierge

Les nations ont mis le grappin sur la moitié de la mer, sous forme d’« eaux territoriales » soumises aux juridictions nationales. Au-delà, ce sont les eaux internationales, ou la haute mer. Vu du ciel, en deux dimensions, les mers recouvrent 70 % de la surface de la Terre. En tenant compte de la profondeur, c’est encore plus impressionnant. Les eaux internationales représentent 95 % de la masse d’eau des océans.

Pendant longtemps, la théorie du Mare Liberum (1609, du Hollandais Hugo De Groot) selon laquelle chacun était autorisé à agir librement en mer a prévalu. Aujourd’hui, l’utilisation des mers est strictement réglementée. Après des décennies de consultations internationales difficiles, diverses zones maritimes ont également reçu des statuts juridiques différents.

Une zone distincte est appelée la Zone (The Area). Elle est gérée par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), un organisme des Nations unies basé à Kingston, en Jamaïque. Grâce à cet organisme, la Zone et ses « richesses naturelles » ont acquis un statut unique : elles font désormais partie du patrimoine commun de l’humanité. Toutefois, ce sont de simples mortels qui gèrent la Zone au nom de l’humanité. Tout ce qu’ils font est donc matière à discussion.

Un certain nombre d’entreprises extraient des minéraux des eaux nationales relativement peu profondes, à proximité des côtes. Dans les eaux belges (le plateau continental belge), par exemple, on extrait du sable et du gravier. Mais aujourd’hui, la Zone est également soumise à des pressions, loin des côtes.

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Des tests sur les fonds marins devraient montrer comment les minéraux peuvent être extraits commercialement.

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En 2020, l’exploitation minière n’y est pas encore une réalité, mais c’est une tendance lourde : plus de 2 millions de km² sont déjà sous contrat d’exploration. Là aussi, les industriels veulent extraire les métaux des fonds marins. Ils ne sont qu’une demi-douzaine, mais veulent absolument commencer à extraire les minéraux des profondeurs marines. Ils prétendent que c’est nécessaire pour ne pas manquer de métaux indispensables à la transition vers la durabilité. Bien entendu, ils espèrent aussi faire du profit grâce à cette extraction.

Si leurs plans d’exploitation minière aboutissent, ils coloniseront les toutes dernières zones vierges de la planète. L’océan, avec sa vie et ses systèmes, est une zone largement inexplorée, mais il est certain que l’exploitation minière des grands fonds marins y causera des dommages irréparables. Le biologiste naval Craig Smith a un jour déclaré : « ce sont les écosystèmes les plus intacts de la planète ». Selon lui, une seule activité minière dans cet environnement est susceptible d’affecter directement une zone de 500 km² et aura un impact indirect dans une zone cinq fois plus grande. « Et cela après un an », rajoute-t-il, « alors qu’une telle activité peut durer jusqu’à 30 ans ».

Et pendant ce temps, les mineurs des grands fonds fourbissent leurs projets. Ils s’intéressent à l’océan Atlantique et à l’océan Indien, mais plus particulièrement à une zone d’extraction située dans les eaux internationales entre Hawaï et le Mexique, que les initiés appellent la zone de fracture de Clarion-Clipperton (CCZ). Elle doit son nom à deux longues lignes de faille au fond de l’océan (la tristement célèbre île de l’atoll de Clipperton se trouve en dehors de la CCZ).

La zone de Clarion-Clipperton n’est qu’une tache sur le globe. Mais si on la superpose à la carte de l’Amérique du Nord, elle recouvre les 48 États continentaux des États-Unis, sur toute la largeur est-ouest du continent américain. L’entièreté de la zone n’est pas éligible pour l’extraction. Certaines parties sont protégées. Toutefois, l’Autorité internationale des fonds marins a morcelé cette zone et, depuis 2001, a concédé des lots à 18 parties intéressées.

Jusqu’à présent, ces dernières ne sont autorisées qu’à explorer la zone, et non à exploiter quoi que ce soit. 11 contrats ont été attribués à des entreprises. Quatre d’entre elles sont des filiales de grandes entreprises. Elles visent l’exploitation. L’un de ces quatre combattants est une société privée belge. Elle devait être parrainée par l’État belge pour pouvoir prétendre à une concession.

Les entreprises de dragage

La Belgique était plutôt en retard. Son nom n’est apparu dans ce dossier qu’en 2012, alors que plusieurs concessions avaient déjà été accordées. Dix ans plus tard, les Belges sont en première ligne. La société belge Global Sea Mineral Resources (GSR) occupe le premier plan. GSR est une filiale de Dredging Environmental and Marine Engineering (DEME), un groupe belge de dragage de classe mondiale.

En tant qu’entrepreneur, GSR dispose d’une concession dans la zone de Clarion-Clipperton et étudie comment y collecter les « nodules de manganèse » (ci-après, « nodules »). On trouve ces nodules dans tous les fonds marins, ainsi que dans les mers peu profondes et dans certains lacs, mais la CCZ en serait très riche. Ces nodules tiennent dans la paume de la main. Ils contiennent du manganèse, mais aussi d’autres métaux tels que le nickel, le cuivre et le cobalt.

Les techniciens disent qu’ils vont « récolter » les nodules polymétalliques. Mais ce terme induit en erreur, comme si les nodules étaient des fruits qui n’attendaient qu’à être cueillis. Les gens qui ont trop d’imagination pensent qu’ils repousseront d’eux-mêmes… Mais les nodules polymétalliques sont des créations géologiques. Ils croissent à raison de quelques millimètres par million d’années. Chaque nodule peut avoir plusieurs millions d’années. Dans les plaines dites abyssales où se trouvent la plupart des nodules, l’océan est profond de 4 à 5 kilomètres. Il ne suffit pas de les aspirer depuis un navire en surface.

Si jamais on en arrive là, l’arrachage des nodules sera une opération assez délicate. Les ingénieurs le savent par expérience. Au printemps 2019, Global Sea Mineral Resources a connu un sérieux revers. GSR avait alors effectué une expédition dans la région pour tester un prototype de robot, le Patania II. Quelques mois auparavant, la machine avait été dévoilée dans sa base d’Anvers, sur une musique triomphante de Coldplay. L’engin avait alors effectué quelques essais dans des flaques boueuses sur la terre ferme. Pour l’expédition, GSR avait loué un navire de service norvégien, le Normand Reach.

Patania

Patania, c’est le nom du robot de Global Sea Mineral Resources (GSR). L’entreprise belge, filiale du groupe de dragage DEME, veut utiliser cette machine à environ 4000 mètres de profondeur pour récolter des « nodules de manganèse » au fond de l’océan Pacifique. Le nom que DEME a choisi pour son robot en dit long sur leur ambition. Pour autant que nous sachions, la Patania est la chenille la plus rapide du règne animal. Le robot devra en effet travailler dur. GSR part de l’hypothèse qu’ils doivent récolter 3 millions de tonnes de nodules par an pour couvrir les coûts et avant de dégager des profits.

GSR a construit une version réduite du robot en 2017 et l’a testé la même année dans la concession qui lui a été accordée. Patania I devait juste essayer de travailler dans la boue des profondeurs de la mer. GSR connaissait déjà l’état du terrain. La société l’avait fait photographier avec un drone sous-marin par G-TEC. L’appareil a survolé le fond marin à basse altitude et a pris 50 000 photos. Ainsi, GSR savait que le terrain était légèrement vallonné, avec des pentes pas trop raides. Elle savait également où se trouvaient la plupart des nodules.

Lors de l’essai de 2017, le Patania I a atteint une vitesse maximale de 0,65 mètre par seconde (soit 2,34 km/h) et a parcouru un total de 14 km. En 2018, le Patania II a été construit. Il s’agit d’un préprototype du collecteur réel avec lequel GSR veut ratisser les nodules. Le Patania II mesure 12 mètres de long, 4,5 mètres de haut et 4,5 mètres de large. Il pèse 35 tonnes sur terre, 15 tonnes dans l’eau. Le Patania III définitif sera quatre fois plus grand que le préprototype.

Début 2019, un essai du Patania II a dû être arrêté à la suite d’un défaut du cordon reliant le navire de commandement au robot. Le test sera répété en 2021. Le robot fera alors des allers-retours comme un tracteur dans un champ de 340 mètres de long, à 1,8 km/h, en ramassant des « nodules de manganèse » sur une bande de 50 mètres à la fois. Le réservoir du robot peut contenir 3 tonnes de nodules. Lorsque le réservoir est plein, les nodules sont rejetés par-dessus bord dans un virage. Aucun nodule ne sera aspiré vers le navire de commandement. En exploitation réelle, le Patania III devra couvrir une superficie de 250 km² afin d’atteindre la production minimale de 3 millions de tonnes. Pour y parvenir, le véhicule à chenilles ne devra pas chômer.

Pour le développement du Patania, la société privée Global Sea Mineral Resources et son propriétaire, le groupe DEME, ont été subventionnés ces dernières années par des fonds publics provenant de différentes sources.

En voici un aperçu, tiré des données provenant des rapports annuels des entreprises concernées :

  • 2014 France, concours d’innovation: 282.500€ pour le Nodulier2022 de SDI (GSR en collaboration avec OceanflORE et G-TEC)

  • 2015 Flandre (IWT): 5.999.801€ dont 50 % de subventions, pour GSR en collaboration avec Dredging International

  • 2016 Flandre (VLAIO): 6.269.038€ dont 27 % de subventions, pour GSR en collaboration avec Dredging International

  • 2017 Union européenne, dans le cadre du programme MarTera Era-Net Cofund: 4.203.083€ dont 30 % de subventions, en collaboration avec les partenaires hollandais Geomar et Saltation, pour le projet COMPASS

  • Programme-cadre de l’UE (FP7) 2013-2016, projet MIDAS (Managing impacts of Deep-Sea Resource Exploitation): IHC et DEME participent au programme, mais n’en tirent pas de fonds

  • 2014-2018 FP7 de l’UE, Blue Mining (budget : 14,7 millions d’euros dont 10 millions d’euros de l’UE) > 422.450€ pour Dredging International NV

  • 2016-2020 EU Horizon2020, Blue Nodule (budget de l’UE : 7,9 millions): 982.250€ pour Dredging International NV, 455.812,50 € pour Global Sea Mineral Resources

Pour le programme MiningImpact-2 (2018-2021), l’UE a alloué un budget de 18 millions d’euros avec une subvention de 100 % dans le cadre de l’initiative de programmation conjointe Océans. C’est là que GSR et Geomar (Allemagne) s’allient. Mais GSR est formelle : « pas un centime de tout cela ne nous parviendra ».

L’expédition devait se dérouler en plusieurs phases, commençant par un test technique de l’équipement. Le robot devait ensuite effectuer des tests sous-marins dans les zones de concession belge et allemande. Un groupe important de chercheurs devaient observer le test. Ils voulaient suivre le Patania pour vérifier si les sédiments se détachaient du sol, se répandaient comme un nuage, et comment ce nuage allait se comporter aux alentours du champ de nodules.

Mais la mission a mal tourné dès le tout premier test technique, non pas à cause d’une défaillance du Patania II, mais bien à cause d’un défaut du « cordon ombilical » qui reliait le robot au navire. Ce cordon est constitué d’un faisceau de câbles et de canalisations. Il ne fait que 5 centimètres de diamètre. Le cordon déroulé à l’aide d’un treuil envoie de la puissance et des commandes au robot en mer et reçoit les données des capteurs et les images du fond marin. Mais en mars 2019, un problème est survenu avec le cordon ombilical ou le treuil, et le robot est manifestement tombé en panne de courant.

À San Diego, sur la côte ouest-américaine, des chercheurs de l’université de Gand attendaient de pouvoir embarquer sur le Normand Reach après ce premier test de fonctionnement. Ils devaient mener à bien la deuxième phase de l’expédition, avec d’autres collègues. Mais GSR les a informés que cette phase d’observation de l’impact environnemental avait été annulée. Les autres chercheurs faisaient partie d’un consortium international. Ils se trouvaient à bord du navire de recherche allemand Sonne. Ils devaient également observer le panache de sédiments. Après l’échec des tests, GSR a mis en place un plan d’urgence sans le Patania II.

GSR a été contraint de repenser toute sa planification. Pendant longtemps, la société a pensé pouvoir reprendre le programme de test avant la fin de 2020. Mais ce plan est également en train de changer, à cause de la crise COVID-19, selon GSR. Les nouveaux essais n’auront pas lieu avant 2021.

La Belgique dans le bain

Il y a dix ans, la Belgique a été entraînée dans l’exploitation minière en haute mer par deux sociétés. Tout d’abord par DEME et son directeur Kris Van Nijen. Dès 2010, il a entrepris ce qu’il appelle une « analyse des conditions de concurrence », c’est-à-dire une étude approfondie des acteurs actifs dans cette nouvelle industrie. La société liégeoise G-TEC, spécialisée en géologie marine et fondée par l’ingénieur Lucien Halleux, était son plus proche partenaire. G-TEC a régulièrement exécuté des contrats pour DEME. Tout indique que DEME a envoyé la firme liégeoise en première ligne avec une mission bien spécifique.

2012 fut une année charnière. Le 23 avril, G-TEC a créé une filiale avec un objet social distinct : « acquérir une ou plusieurs concessions sur le fond de l’océan Pacifique en vue d’une exploitation ultérieure » dans les eaux internationales. La filiale est baptisée G-TEC Sea Mineral Resources, en abrégé GSR. Formellement, GSR était encore distincte de DEME à l’époque.

G-TEC Sea Mineral Resources a introduit une demande auprès de l’Autorité internationale des fonds marins afin d’obtenir une concession dans les eaux internationales. La procédure de l’AIFM prévoyait que GSR, en tant que société belge, devait être parrainée par la Belgique. Cette question a vite été réglée.

Dans sa demande à l’AIFM, GSR avait précisé que la Belgique elle-même n’avait pas d’industrie minière et était « très désireuse de développer tout le potentiel de l’industrie minière en eaux profondes ». La Belgique était en effet disposée à soutenir G-TEC Sea Mineral Resources.

Le 8 mai 2012, Johan Vande Lanotte, alors vice-premier ministre et ministre de l’Économie et de la Mer du Nord au sein du gouvernement belge, a informé l’Autorité internationale des fonds marins que la Belgique soutenait pleinement la demande de GSR. Dans un courrier adressé à l’AIFM en date du 31 mai, on pouvait lire : « nous préparons également une législation belge pour assumer notre responsabilité d’État sponsor ».

Dans une deuxième lettre datée du 21 juin, envoyée par Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, et par le ministre Vande Lanotte, le parrainage belge de GSR a été réitéré. Ils y déclaraient que la Belgique assumerait sa responsabilité sur la base des accords des Nations unies, du « droit de la mer » de 1982 et de ses décrets d’application de 1994, que la Belgique avait signés, « afin de garantir que la société (GSR) respectera toutes les dispositions pertinentes ».

Le moulin administratif a rapidement digéré ce dossier. Les entrepreneurs du groupe de dragage DEME avaient de bonnes relations avec les vice-premiers ministres Vande Lanotte et Reynders, cela a peut-être aidé. Marc Stordiau (directeur général de DEME jusqu’en 2006) avait fait partie d’un groupe informel de consultants mis sur pied par Johan Vande Lanotte. En 2012, Alexia Bertrand avait rejoint le cabinet de Didier Reynders en tant que conseillère (en 2015, elle deviendra chef de cabinet de ce dernier). Elle est la fille de Luc Bertrand, l’un des principaux dirigeants du holding Ackermans & Van Haaren qui contrôle (indirectement) le groupe DEME.

Cet été-là, la demande de GSR a été traitée à Kingston. Les représentants de GSR ont pu y défendre leur projet. Parmi eux, Lucien Halleux. En juillet, après « 6 réunions à huis clos » de la Commission juridique et technique de l’AIFM, la demande de GSR a reçu un avis favorable. Enfin, le 23 juillet, le Conseil de l’AIFM a attribué à G-TEC Sea Mineral Resources une concession de 148 665 km² (5 fois la superficie de la Belgique) dans la zone de Clarion-Clipperton, dans laquelle la société est autorisée à explorer les nodules polymétalliques.

La procédure prévoyait que la moitié de ce domaine reviendrait effectivement à GSR, l’autre moitié étant réservée à un pays en développement. Le choix s’est porté sur les îles Cook, un État insulaire du Pacifique Sud. Kris Van Nijen de DEME s’en était déjà occupé.

Chiffres clés de DEME & GSR

Au cours des deux dernières années, l’entreprise Dredging Environmental and Marine Engineering (DEME) a dégagé 2,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le groupe est spécialisé dans le dragage des chenaux et la poldérisation des terres, c’est-à-dire la création de nouvelles terres. Mais DEME construit et gère également des parcs éoliens offshore, traite les sédiments pollués et construit des infrastructures maritimes. Tout cela a fait de DEME un leader mondial. DEME appartient à la société de construction belge CFE, qui est elle-même contrôlée par le holding Ackermans & Van Haaren.

Le dragage est une activité difficile. Comme il y a peu de spécialistes et que le marché mondial est relativement petit (avec un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros en 2018), il faut se battre pour chaque contrat. Les concurrents belges, DEME et Jan De Nul, collaborent parfois (comme pour le dragage du canal de Suez), mais le plus souvent ils se rendent la vie impossible.

En 2016, cette querelle a notamment conduit Jan De Nul à transmettre aux tribunaux belges,  des informations sur une opération suspecte de DEME en Russie. DEME avait remporté un contrat à Sabetta, dans le cercle arctique, aux dépens de De Nul. Mais selon les informations de De Nul, DEME aurait versé plus de 4 millions d’euros de pots-de-vin pour y parvenir. Par ailleurs, la société Jan De Nul a également été mise en cause pour corruption, en Argentine par exemple, où un de ses partenaires commerciaux a payé 600 000 dollars pour faire prolonger un contrat lucratif.

Au sein du groupe DEME, Global Sea Mineral Resources est responsable du projet d’exploitation minière en eaux profondes. Cette société appartient à la division offshore de DEME. Cette division réalise aujourd’hui 43 % du chiffre d’affaires de DEME. Cette branche a pris un sérieux envol au cours des dix dernières années, aux dépens de la branche dragage. La part du dragage dans le chiffre d’affaires de DEME a diminué de moitié depuis 2009.

DEME a clairement investi beaucoup plus intensivement dans l’exploitation minière en eaux profondes que son concurrent Jan De Nul. À partir de 2014, DEME a également garni le capital de GSR, et l’a encore doté de 20 millions d’euros supplémentaires à la fin de 2019. Le capital de GSR s’élève maintenant à plus de 33 millions d’euros. GSR restera un centre de coûts aussi longtemps que cette filiale ne sera pas autorisée à faire de l’exploitation minière en haute mer. Mais Global Sea Mineral Resources est présente sur plusieurs fronts. Aujourd’hui, elle possède les droits exclusifs d’exploration de deux concessions d’environ 75 000 km² chacune dans la zone de Clarion-Clipperton, dont une concession qui lui a été accordée par l’Autorité internationale des fonds marins et une concession obtenue conjointement avec la Cook Islands Investment Corporation (CIIC). GSR possède également des droits d’exploration de nodules sur une superficie de 20 000 km² dans la zone économique exclusive des îles Cook.

DEME se lance dans les nodules

L’entreprise de dragage DEME s’est lancée en haute mer avec un plan ambitieux. Elle a défini son futur domaine d’activité, a commencé à construire de nouveaux équipements et a noué d’importantes alliances.

Le directeur général Kris Van Nijen a parcouru le monde à partir de 2010 pour s’entretenir avec des spécialistes des grands fonds. Van Nijen avait fait toute sa carrière dans le dragage. À partir de cet instant, il a commencé à explorer un domaine qui lui était complètement inconnu. Toute entreprise qui se respecte est, bien sûr, constamment à l’affût de nouvelles opportunités, et l’extraction de minéraux dans l’océan en était bien une. Mais qu’allait faire DEME exactement ? Les possibilités étaient infinies.

Les géologues connaissent trois types de gisements minéraux dans la mer :

  • les plaines abyssales et leurs nodules polymétalliques

  • les « geysers » sous-marins et leurs dépôts sous forme de cheminées actives ou éteintes

  • et les croûtes dans les zones de forte activité volcanique (avec de fortes concentrations de cobalt, de platine et de terres rares).

Progressivement, les biologistes découvrent que ces nodules, cheminées et croûtes sont pleins de vie. Mais ils n’ont de valeur économique que lorsqu’ils sont considérés comme des « matières premières ». C’est dans cette direction que l’industrie souhaite se diriger.

De 2010 à 2012-13, Kris Van Nijen s’est entretenu avec tous ceux qui possédaient des propriétés maritimes ou des concessions minières. Il mentionne Nautilus Minerals (qui a signé un contrat d’exploitation de cheminées de sulfure avec la Papouasie–Nouvelle-Guinée en janvier 2011), Neptune Minerals (également créé en 2011), TransTasman (promoteur d’un projet de sable ferreux au large de la Nouvelle-Zélande) et Chatham Rock (phosphate de mer proche de la Nouvelle-Zélande).

Dans le même temps, les autres compagnies de dragage des Pays-Bas ont également fait leur entrée dans l’exploitation minière en eaux profondes. Ainsi, Boskalis (Pays-Bas) est devenue actionnaire de Chatham Rock. Jan De Nul, le principal concurrent belge de DEME, devait construire le navire Jules Verne pour Nautilus. Mais ce projet ne s’est pas concrétisé.

DEME a finalement décidé qu’elle voulait collecter des nodules polymétalliques en haute mer. Cela restait techniquement à sa portée. « Aspirer ces nodules à de grandes profondeurs reste en fait une technologie de dragage », explique M. Van Nijen. Hasard ou non, le choix de DEME a coïncidé avec le projet soumis par G-TEC Sea Mineral Resources à la Seabed Authority de Kingston. Comme indiqué ci-dessus, l’AIFM a donné son feu vert à GSR en juillet 2012 et les deux parties ont signé le contrat en janvier 2013.

Une concession connue

En 2012, la société belge G-TEC Sea Mineral Resources (GSR) ne s’est pas contentée de solliciter une concession dans la zone de Clarion-Clipperton. Elle a aussi requis explicitement et reçu la concession USA-3. Cette concession était encore libre et n’était pas un territoire inconnu pour les Belges.

L’histoire remonte aux années 1970. À l’époque, plusieurs consortiums industriels avaient été créés pour exploiter les minerais en eaux profondes dans le Pacifique, dans une zone qui, selon des sources américaines, présentait un « intérêt commercial maximal ».

Le groupe belge Union Minière avait rejoint en 1974 le consortium Ocean Mining Associates (OMA). Ce dernier était dirigé par DeepSea Ventures et Tenneco (USA), les autres membres étant le groupe sidérurgique US Steel (USA) et un groupe d’entreprises japonaises. Pour rappel, la guerre froide était toujours en cours et les États-Unis ne pouvaient pas obtenir de matières premières de n’importe où. Ils étaient le pays le plus puissant de l’Occident riche, mais ils affrontaient l’Union soviétique et le Tiers-Monde. Le camp occidental avait du mal à accéder aux ressources de l’Union soviétique. Il devait aussi éviter l’Afrique du Sud comme fournisseur parce que le Tiers-Monde agissait contre le régime d’apartheid sud-africain.

Il restait donc la haute mer, et certainement « les eaux internationales de l’océan Pacifique entre l’Amérique centrale et Hawaï qui abritent, à trois milles de profondeur, la plus célèbre source (“réserve”) de nodules de manganèse », comme le précise un rapport américain.

C’est précisément à cet endroit que l’OMA a obtenu sa concession dans la zone USA-3. Les échantillons collectés par l’OMA sont passés entre les mains d’Umicore, nouveau nom de l’Union Minière depuis 2001. Et pendant que GSR se préparait à solliciter une concession dans la CCZ auprès de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), elle avait déjà reçu d’Umicore l’accès aux données d’USA-3.

GSR a ainsi pu assurer à l’Autorité des fonds marins qu’il y avait abondance de nodules polymétalliques. L’AIFM a ensuite accordé à GSR une concession pour l’exploration d’une superficie de 148 665 km². La concession a été divisée en deux parties : GSR en a conservé la moitié. L’autre moitié a ensuite été allouée à l’association de GSR avec les îles Cook.

Sur la carte, USA-3 se compose maintenant de six zones qui se connectent selon un schéma zébré, d’ouest en est : A1-B2-A3-B4-A5-B6. GSR dispose des voies B, GSR et les îles Cook des voies A. Sur base des études disponibles, GSR a fait valoir en 2012 que la valeur commerciale de A et de B était équivalente.

Un partenaire secret

L’État belge a agi en tant que parrain de G-TEC Sea Mineral Resources auprès de l’AIFM. Mais la société belge UMICORE et l’Université de Gand ont soutenu sa demande de concession en tant que partenaires. UMICORE est un groupe de matériaux et de recyclage, avec un long passé (notamment colonial) en tant que société minière (sous le nom d’Union Minière) et qui, par ailleurs, avait déjà acquis une certaine expérience dans l’exploration des grands fonds marins dans les années 1970-1980 en tant que membre d’un consortium américain.

À l’université de Gand, des biologistes marins comme An Vanreusel étaient en charge de la recherche sur les océans, tout comme les géologues marins du Centre Renard, nommé d’après Alphonse Renard, l’un des pionniers de la recherche sur les nodules polymétalliques à la fin du XIXe siècle. En outre, GSR avait explicitement fait référence aux mérites d’Alphonse Renard dans sa demande à l’Autorité des fonds marins.

Mais la demande de GSR faisait encore référence à un autre partenaire, dont la société ne souhaitait pas révéler le nom. Ce dernier était connu du gouvernement belge, mais pas en dehors de celui-ci. G-TEC Sea Mineral Resources a indiqué à l’AIFM que ce partenaire industriel (« pas Umicore ») prendrait en charge tous les coûts de son projet en eaux profondes. En tant que patron de G-TEC, Lucien Halleux a été impliqué dans toutes ces discussions.

Il justifie par email : « Un projet de cette taille n’est pas possible sans partenariats. Toutefois, comme pour tout projet industriel, les participants signent des accords de confidentialité et je ne veux pas trahir ces accords ». Tournez-vous vers GSR, conseille-t-il. Kris Van Nijen de GSR : « L’ambition de Lucien (Halleux) était de lancer ce projet, mais il a également réalisé que G-TEC ne pouvait pas le développer seul. Il a pris les devants, et nous avons saisi cette occasion ».

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Les industriels veulent commencer à extraire des minéraux des profondeurs de la mer. Sinon, nous serons à court de métaux qui seraient indispensables pour une transition vers la durabilité, disent-ils.

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Mais qui était ce partenaire secret ? Puisque le gouvernement belge a parrainé GSR, la logique voudrait que l’opinion publique soit en droit de savoir. Ce n’était pas UMICORE. Était-ce le fabricant de fil Bekaert, car Alain Bernard (l’administrateur délégué de DEME) a prononcé ce nom à plusieurs reprises ? Ou bien DEME était-elle elle-même le mystérieux partenaire industriel ?

DEME et G-TEC semblaient prédestinés l’un à l’autre. Ils tournaient l’un autour de l’autre comme des mantes religieuses à la saison des amours. En 2014, DEME a absorbé la société G-TEC Sea Mineral Resources et a changé son nom en Global Sea Mineral Resources (GSR). En absorbant GSR, DEME a bien sûr également mis la main sur le contrat de la « concession belge » dans la zone de Clarion-Clipperton. Trois ans plus tard, G-TEC a disparu en tant que société indépendante. GeoSea (une autre filiale de DEME) l’a acquise en novembre 2017, conjointement avec la société d’investissement wallonne SRIW. GeoSea-DEME détient désormais 72,5 % du capital de GSR, le solde appartenant à la SRIW.

La Belgique est-elle responsable ?

Au début, très peu de personnes en Belgique connaissaient l’ensemble de ce dossier en dehors des cabinets ministériels et des entreprises concernées. On n’en a pas parlé dans les médias. Les discussions sur le droit maritime international avaient bien eu lieu au Parlement, mais la loi belge sur « la prospection, l’exploration et l’exploitation des ressources marines, des fonds du sous-sol marins dans les eaux internationales » devait encore être rédigée.

Le ministre Vande Lanotte avait demandé l’avis du Conseil d’État sur un projet de loi en octobre 2012 et ce n’est qu’au printemps et à l’été de l’année suivante que les parlementaires en ont débattu. À l’époque, certains ont été étonnés d’apprendre que GSR avait déjà signé un contrat de 15 ans avec l’AIFM en janvier 2013.

Des questions qui se posaient à l’époque sont toujours d’actualité : que se passe-t-il si GSR fait défaut ? Que se passe-t-il si cette entreprise provoque, par exemple, une catastrophe environnementale ? La responsabilité de la Belgique serait-elle engagée ? La nouvelle loi belge devait clarifier ce point, mais elle n’a été publiée au Journal officiel qu’en août 2013, suivie d’un arrêté royal en octobre.

« Inhabituel », déclare l’avocat Klaas Willaert, qui étudie le droit de la mer à l’université de Gand. Normalement, il existe un cadre législatif national, sur la base duquel l’État peut délivrer un certificat de garantie. Une fois qu’une entreprise dispose d’un tel certificat, elle peut alors soumettre une demande à l’AIFM. Dans le cas de GSR, l’ordre des choses a été inversé. Selon Klaas Willaert, la Belgique reste coresponsable en vertu du droit international en tant qu’État sponsor, mais le droit belge fait porter toute responsabilité à la partie contractante.

Tant d’années plus tard, Johan Vande Lanotte fouille dans sa mémoire pour justifier cet « ordre inverse ». Il regrette que la Belgique ait été « en retard dans la mise en œuvre de la Convention AIFM ». Mais, écrit-il dans un courrier électronique, « J’ai toujours pensé que s’il existe des réglementations internationales complètes, il n’est pas bon qu’un État membre d’un ensemble plus grand édicte ses propres règles. La Convention UNCLOS a été une réalisation internationale importante et, en tant que pays, nous nous sommes toujours inscrits dans cette logique ».

Selon Johan Vande Lanotte, GSR a reçu le soutien belge « parce qu’elle semblait être une entreprise belge sérieuse, qui devait bien sûr se conformer aux règles de l’AIFM par la suite ». Notons que DEME-GSR pense la même chose : il n’est pas strictement nécessaire d’avoir une législation supplémentaire quand on dispose déjà du cadre législatif de l’AIFM.

Patania

Patania, c’est le nom du robot de Global Sea Mineral Resources (GSR). L’entreprise belge, filiale du groupe de dragage DEME, veut utiliser cette machine à environ 4000 mètres de profondeur pour récolter des « nodules de manganèse » au fond de l’océan Pacifique. Le nom que DEME a choisi pour son robot en dit long sur leur ambition. Pour autant que nous sachions, la Patania est la chenille la plus rapide du règne animal. Le robot devra en effet travailler dur. GSR part de l’hypothèse qu’ils doivent récolter 3 millions de tonnes de nodules par an pour couvrir les coûts et avant de dégager des profits.

GSR a construit une version réduite du robot en 2017 et l’a testé la même année dans la concession qui lui a été accordée. Patania I devait juste essayer de travailler dans la boue des profondeurs de la mer. GSR connaissait déjà l’état du terrain. La société l’avait fait photographier avec un drone sous-marin par G-TEC. L’appareil a survolé le fond marin à basse altitude et a pris 50 000 photos. Ainsi, GSR savait que le terrain était légèrement vallonné, avec des pentes pas trop raides. Elle savait également où se trouvaient la plupart des nodules.

Lors de l’essai de 2017, le Patania I a atteint une vitesse maximale de 0,65 mètre par seconde (soit 2,34 km/h) et a parcouru un total de 14 km. En 2018, le Patania II a été construit. Il s’agit d’un préprototype du collecteur réel avec lequel GSR veut ratisser les nodules. Le Patania II mesure 12 mètres de long, 4,5 mètres de haut et 4,5 mètres de large. Il pèse 35 tonnes sur terre, 15 tonnes dans l’eau. Le Patania III définitif sera quatre fois plus grand que le préprototype.

Début 2019, un essai du Patania II a dû être arrêté à la suite d’un défaut du cordon reliant le navire de commandement au robot. Le test sera répété en 2021. Le robot fera alors des allers-retours comme un tracteur dans un champ de 340 mètres de long, à 1,8 km/h, en ramassant des « nodules de manganèse » sur une bande de 50 mètres à la fois. Le réservoir du robot peut contenir 3 tonnes de nodules. Lorsque le réservoir est plein, les nodules sont rejetés par-dessus bord dans un virage. Aucun nodule ne sera aspiré vers le navire de commandement. En exploitation réelle, le Patania III devra couvrir une superficie de 250 km² afin d’atteindre la production minimale de 3 millions de tonnes. Pour y parvenir, le véhicule à chenilles ne devra pas chômer.

Pour le développement du Patania, la société privée Global Sea Mineral Resources et son propriétaire, le groupe DEME, ont été subventionnés ces dernières années par des fonds publics provenant de différentes sources.

En voici un aperçu, tiré des données provenant des rapports annuels des entreprises concernées :

  • 2014 France, concours d’innovation: 282.500€ pour le Nodulier2022 de SDI (GSR en collaboration avec OceanflORE et G-TEC)

  • 2015 Flandre (IWT): 5.999.801€ dont 50 % de subventions, pour GSR en collaboration avec Dredging International

  • 2016 Flandre (VLAIO): 6.269.038€ dont 27 % de subventions, pour GSR en collaboration avec Dredging International

  • 2017 Union européenne, dans le cadre du programme MarTera Era-Net Cofund: 4.203.083€ dont 30 % de subventions, en collaboration avec les partenaires hollandais Geomar et Saltation, pour le projet COMPASS

  • Programme-cadre de l’UE (FP7) 2013-2016, projet MIDAS (Managing impacts of Deep-Sea Resource Exploitation): IHC et DEME participent au programme, mais n’en tirent pas de fonds

  • 2014-2018 FP7 de l’UE, Blue Mining (budget : 14,7 millions d’euros dont 10 millions d’euros de l’UE) > 422.450€ pour Dredging International NV

  • 2016-2020 EU Horizon2020, Blue Nodule (budget de l’UE : 7,9 millions): 982.250€ pour Dredging International NV, 455.812,50 € pour Global Sea Mineral Resources

Pour le programme MiningImpact-2 (2018-2021), l’UE a alloué un budget de 18 millions d’euros avec une subvention de 100 % dans le cadre de l’initiative de programmation conjointe Océans. C’est là que GSR et Geomar (Allemagne) s’allient. Mais GSR est formelle : « pas un centime de tout cela ne nous parviendra ».

Encore une nouvelle filiale

Au début, Kris Van Nijen a passé beaucoup de temps à discuter avec d’autres entreprises. Mais dans le même temps, DEME a développé un organigramme séparé pour les nouvelles activités. En 2011, le groupe a été un pas plus loin. Il a annoncé la création d’une coentreprise à égalité de parts avec la société néerlandaise IHC Merwede. La nouvelle société a été baptisée OceanflORE, où ORE signifie Ocean Reserve Extraction.

DEME avait déjà une relation étroite avec IHC, car cette dernière construit la plupart des navires pour DEME (au printemps 2020, alors qu’IHC Merwede connaissait des difficultés financières, la société a été sauvée par le holding belge Ackermans & Van Haaren, propriétaire actuel de DEME). Lors de la création d’OceanflORE, IHC Merwede consolidait également son expertise dans le domaine de l’exploitation minière en eaux profondes. La société néerlandaise a également travaillé en Afrique du Sud, entre autres en tant que sous-traitant du groupe minier De Beers qui extrayait des diamants de la mer à environ 150 mètres de profondeur au large des côtes namibiennes.

OceanflORE a été officiellement enregistré aux Pays-Bas en septembre 2012. Mais avant cela, en décembre 2011, les dirigeants de DEME et d’OceanflORE avaient déjà rencontré le Secrétaire général de l’Autorité internationale des fonds marins, Nii Odunton. « Le directeur général de DEME, qui est également administrateur d’OceanflORE », était présent, confirme un email du SPF Affaires étrangères. Il devait s’agir d’Alain Bernard, CEO. Alain Bernard a ensuite parlé des plans de DEME pour les eaux profondes, puis a été rejoint par Hugo Bouvy, directeur d’OceanflORE.

À les entendre, l’exploitation minière en haute mer était une urgence. Avec l’accroissement de la population mondiale et de la prospérité matérielle, il fallait davantage de matières premières. Or, selon les rapports de l’époque, les stocks de certains métaux nécessaires sur terre étaient suffisants pour encore 10-15-20 ans, puis seraient épuisés, alors qu’il y a d’importants gisements de ces métaux dans l’océan. C’était leur raisonnement. Nous devions donc commencer à exploiter ces minéraux marins. Hugo Bouvy ne connaissait pas exactement la géologie de ces minéraux marins. Il a parlé d’une croûte de 75 à 100 mètres d’épaisseur au fond de la mer, « en tout cas d’une épaisseur considérable ». Alain Bernard se berçait d’illusions : « nous ferons du dragage chirurgical ».

Selon Kris Van Nijen, OceanflORE offrirait sa technologie et ses équipements aux entreprises ayant des concessions pour l’exploitation des minéraux en haute mer. Mais cela n’a jamais démarré. Selon ses propres rapports, OceanflORE a travaillé sur une technologie adaptée, comme un système permettant d’aspirer les minéraux de la mer depuis la surface (un riser).

En France, il a été fait appel à une autre filiale de DEME, la Société de Dragage International (SDI). Avec un troisième partenaire, G-TEC SAS, ils ont ensuite participé à un concours du gouvernement français pour l’innovation technologique. Leur projet a été récompensé. Il s’appelait Nodulier2022.

Leur intention était de construire des équipements pour les fonds marins. Mais les vrais détails sont restés secrets. Lucien Halleux de G-TEC ne se souvient plus du montant reçu de la France pour le Nodulier2022, « l’intervention maximale était de 200 000 € ». Cependant, selon un rapport annuel de GSR, le projet Nodulier a reçu une subvention de 282 500 €.

C’était la première d’une série de subventions. Il n’y a aucune trace d’un rapport final sur ce projet en France. N’était-ce pas nécessaire ? Lucien Halleux : « il s’agit de recherche industrielle, ces rapports sont confidentiels et ne sont pas disponibles sur Internet. » Jusqu’à présent, seuls les industriels concernés savent si la subvention a été utilisée, et de quelle manière.

Les îles Cook dans le viseur

OceanflORE est également devenu un avant-poste de DEME dans la région du Pacifique. DEME avait les îles Cook dans sa ligne de mire. Elle a établi des liens d’amitié avec ce pays, mais a également commencé à influencer les règles de l’exploitation minière offshore dans le Pacifique Sud.

Les premiers contacts ont été noués au plus tard en 2012. En août de cette année-là, Kris Van Nijen a participé à un atelier du programme Deep Sea Minerals (DSM) aux îles Fidji. Ce programme avait débuté en 2011. C’était une initiative de l’organisation régionale pour la zone élargie, le Secrétariat pour la Communauté du Pacifique. L’Union européenne a soutenu le programme en lui accordant un financement (4,4 millions d’euros) et en lui apportant son expertise. Pour l’UE, la volonté de diversification de son approvisionnement en matières premières a également joué un rôle. Elle voulait être moins dépendante de quelques fournisseurs non européens dominants. C’est pourquoi son intérêt pour les minéraux de la région du Pacifique s’est également accru.

Kris Van Nijen a participé à l’atelier en sa qualité de directeur général d’OceanflORE. Mais cette société avait une adresse à Singapour, à savoir le 371 Beach Road #24-08 Keypoint. Plusieurs autres sociétés du groupe DEME y avaient leurs bureaux. Pour DEME, Singapour était un territoire familier, elle y avait d’importants contrats de dragage. OceanflORE y a également rencontré Paul Lynch des îles Cook, où il était le commissaire responsable des minéraux des fonds marins. En février 2013, ils se sont revus. Paul Lynch a ensuite organisé une rencontre avec Tom Marsters, le vice-premier ministre des îles Cook. La réunion a de nouveau eu lieu à Singapour. Plus tard dans l’année, Global Sea Mineral Resources a conclu un premier accord formel avec la Cook Islands Investment Corporation (CIIC), une entreprise publique.

DEME-GSR se préparait alors à faire coup double. Le groupe avait décidé de travailler sur les nodules dans les eaux internationales, mais, comme le dit Kris Van Nijen, « si vous travaillez dans les eaux internationales, vous devez également vous demander s’il y aura un jour un cadre législatif [pour l’exploitation]. Et si ce cadre n’arrive pas, qu’en est-il de mes investissements ? J’ai donc cherché des alternatives. » L’extraction de nodules dans la zone économique exclusive (ZEE) des îles Cook était l’alternative parfaite.

DEME-GSR a donc proposé un marché aux îles Cook : elles obtiendraient la moitié de la concession de GSR dans la CCZ. GSR y ferait le travail pour les îles Cook, mais a demandé en échange d’être autorisée à exploiter les nodules dans la ZEE des îles Cook. Les îles Cook furent sensibles à ce plan. La proposition de DEME leur a donné accès aux eaux internationales et, comme le souligna Kris Van Nijen, « nous avions accès à la ZEE. C’est comme une protection de risque. Car si nous ne sommes pas autorisés à exploiter les eaux internationales à l’avenir, je pourrai alors utiliser dans les îles Cook les 100 millions que j’ai déjà investis ».

La mise en œuvre de ce plan a pris plusieurs années. GSR, avec la CIIC et les îles Cook en tant qu’État sponsor, a soumis une demande de concession à l’AIFM. En juillet 2014, à l’issue des habituelles délibérations secrètes, la demande a été acceptée par la Commission juridique et technique de l’AIFM. Il a fallu attendre deux ans avant que la CIIC ne signe le contrat avec l’AIFM pour l’exploration de sa concession dans la zone de Clarion-Clipperton.

Dans l’intervalle, GSR a mené des campagnes d’exploration. Ces campagnes ont été menées en 2014, 2015 et 2017 dans sa concession propre dans la CCZ. Des échantillons y ont été prélevés et le fond marin a fait l’objet de sondages et de photographies détaillés. La campagne 2018 a été consacrée à effectuer des explorations similaires dans la concession des îles Cook dans la CCZ.

Pour la plus récente exploration, en septembre-octobre 2019, GSR s’est rendue pour la première fois dans la zone économique exclusive près des îles Cook où elle a obtenu une concession d’environ 20 000 km². GSR a mené cette dernière campagne pour le compte de CIIC-Seabed Resources, une coentreprise qu’elle a créée avec la CIIC des îles Cook en juillet 2016. Le directeur de cette coentreprise est actuellement l’omniprésent Kris Van Nijen de GSR.

Reste à savoir si OceanflORE a essayé d’influencer les réglementations du Pacifique ou des pays de la région. Au moins une autre société occidentale s’y est essayée, le fabricant d’armes américain Lockheed Martin. Lockheed avait déjà obtenu une concession dans le territoire grâce à un parrainage britannique, et espérait obtenir d’autres concessions via l’État insulaire des Fidji. Pour y parvenir, il était nécessaire que la législation régionale le permette.

Cette législation a été élaborée par divers organismes occidentaux, tels que le Commonwealth sous la direction britannique et le programme Deep Sea Minerals (DSM), avec le soutien de l’Union européenne. Ce programme DSM a permis aux Fidji de rédiger la législation applicable. C’est à cette occasion qu’un consultant de DSM est venu sans aucune gêne plaider pour Lockheed. Le même consultant a également travaillé sur le droit de la mer pour les îles Cook au nom du Commonwealth britannique. Il y a donc des similitudes entre l’approche de Lockheed Martin et celle de DEME-GSR. Le groupe belge a également exercé des influences sur les îles Cook.

En route pour l’exploitation !

Pour le moment, c’est l’attente. GSR peut tester et explorer, mais pas davantage. Les règles relatives à l’exploration sont couchées sur le papier depuis 2001. Mais il n’existe pas encore de règles pour l’exploitation, l’extraction ou l’excavation réelle des fonds marins. Un tel code minier est en cours d’élaboration. Les débats à l’Autorité internationale des fonds marins progressent lentement. Du point de vue de l’intérêt public, il est bon qu’ils prennent tout le temps nécessaire. Mais l’entreprise privée GSR et son propriétaire DEME sont pressés. Le directeur général Kris Van Nijen rappelle : « Nous avons commencé les discussions en 2013-2014, avec la promesse de la mise en place d’un cadre législatif pour les opérations en 2016 ». Un tel cadre ne sera pas adopté par l’AIFM avant 2021.

Alors que le travail législatif à Kingston progressait lentement, GSR continuait à avancer. La société est passée de la phase exploratoire initiale à une phase de faisabilité étendue (budgétée à hauteur de 325 millions de dollars). Selon Kris Van Nijen, GSR aura investi d’ici fin 2020 quelque 100 millions d’euros dans le projet, « du pur capital à risque » provenant de ses ressources financières propres. « Ensuite, ça s’arrête pour nous jusqu’à ce qu’il y ait un cadre législatif qui nous permette de regagner ce que nous avons investi ». Si le test prévu avec le Patania II est un succès, les ingénieurs exploiteront alors ses résultats. Mais GSR et DEME n’investiront pas à nouveau tant qu’elles n’auront pas obtenu de permis d’exploiter les nodules.

La licence d’exploration de GSR est prévue pour une période de 15 ans qui expire en 2028. Le plan est prêt à être mis en œuvre, les différents postes budgétaires ont été calculés. Le projet coûte 4 milliards de dollars. Les postes les plus coûteux sont les équipements (près de 600 millions de dollars), les navires (près de 700 millions de dollars) et surtout l’usine de traitement à terre (2,4 milliards de dollars).

Les coûts de fonctionnement des opérations en mer (à 1250 milles nautiques de la côte) s’élèvent à 325 millions de dollars par an, le coût annuel de fonctionnement de l’usine à terre s’élève lui à 688 millions de dollars. Une masse importante de nodules polymétalliques doit être récupérée pour réussir à couvrir ces coûts. Kris Van Nijen : « Avec une production de 3 millions de tonnes de nodules par an, le projet est commercialement viable ».

Pour compléter la chaîne, GSR et DEME réfléchissent au modèle suivant : ils fournissent la matière première (les nodules) à une usine à terre, mais un spécialiste doit construire et gérer cette usine. C’est également le modèle utilisé pour les parcs éoliens offshore de DEME. « Nous ne sommes ni des électriciens ni des fabricants de métaux, nous sommes une entreprise de dragage », explique Kris Van Nijen. Néanmoins, GSR étudie avec Umicore un procédé pour raffiner les métaux des nodules polymétalliques. À cette fin, les deux sociétés ont conclu un premier accord de coopération en juin 2017, dont la fin provisoire était prévue pour septembre 2019.

GSR et DEME ne manquent pas une occasion de plaider leur cause. C’est devenu très clair en 2018, lors de la préparation du test (raté) avec le Patania II. GSR a ensuite publié l’étude des incidences sur l’environnement, déjà citée plus haut, sous forme d’un prospectus reprenant les détails du test. C’était également une obligation prévue par les règles de l’Autorité internationale des fonds marins.

L’impact sur la faune, écrit le GSR, devrait rester limité : les nodules et certains habitats seraient enlevés, il y aurait des nuisances dues aux sédiments emportés par les courants, des substances toxiques seraient libérées et il y aurait une pollution lumineuse et sonore. L’AIFM n’a pratiquement pas émis de commentaires sur le prospectus. Selon GSR, l’AIFM avait consulté trois experts externes.

L’affaire en serait restée là si le mouvement environnemental n’était pas intervenu. L’organisation Seas at Risk a tiré la sonnette d’alarme, après quoi Natuurpunt, le World Wildlife Fund et Bond Beter Leefmilieu sont entrés en action en Belgique, bientôt suivis par Greenpeace.

Ces organisations ont estimé que les autorités belges n’étaient pas cohérentes dans leur volonté de promouvoir la protection de l’océan tout en soutenant les entreprises qui s’efforçaient d’exploiter activement les minéraux des grands fonds marins. Elles exigaient maintenant une consultation publique sur le prospectus de GSR. Leur demande a été entendue par le gouvernement fédéral.

Au printemps 2018, l’ancien ministre de l’Économie Kris Peeters a organisé une conférence sur la position belge à propos de l’exploitation minière en eaux profondes. Par la suite, le secrétaire d’État pour la mer du Nord, Philippe De Backer, a annoncé une consultation publique. Celle-ci a eu lieu en juillet et août et les administrations de l’économie et de l’environnement en ont assuré la coordination.

La question de la légalité de la consultation a été débattue. « La loi belge n’avait pas de base juridique pour organiser une consultation », explique Patrik Schotte du SPF Économie. GSR s’y est opposée, car, selon elle, la consultation en phase d’exploration n’est pas obligatoire. Ensuite, GSR s’est ravisée.

Aujourd’hui, Kris Van Nijen cite la consultation de 2018 comme un exemple à suivre. « La Belgique joue un rôle d’éclaireur », pense-t-il, « je préfère placer la barre très haut, de sorte qu’il devient plus difficile pour tous ceux qui sont derrière moi de la franchir ».

Ce qui n’est toujours pas clair, c’est la manière dont les tests de GSR sont contrôlés. Le prospectus n’est pas clair à ce sujet. Ce flou a donné l’impression que les chercheurs du programme de recherche européen MiningImpact-2 étaient responsables du contrôle. Cependant, le principal responsable de ce programme, le chimiste allemand Matthias Haeckel, ne laisse planer aucun doute. Il déclare au téléphone depuis l’Allemagne : « Nous faisons une évaluation scientifique indépendante de l’impact du collecteur de nodules en haute mer. Notre travail est distinct du contrôle du collecteur de test, contrôle dont GSR est légalement tenu de s’acquitter ».

Le lapin blanc

GSR espère pouvoir exploiter activement les nodules polymétalliques. Mais personne ne sait si cette exploitation va se produire un jour. La résistance s’accroît. La nouvelle stratégie de l’Union européenne en matière de biodiversité appelle à la plus grande prudence. Début 2018, le Parlement européen a adopté une résolution demandant à la Commission européenne d’imposer un moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes.

Autrement dit, l’exploitation commerciale des concessions en eaux profondes resterait interdite jusqu’à ce que « les effets sur le milieu marin, la biodiversité et les activités humaines en mer aient été suffisamment étudiés et que tous les risques possibles soient connus ». Le mouvement environnemental pour les grands fonds marins s’est regroupé à l’échelon international au sein de la Deep Sea Conservation Coalition (DSCC).

Son but est de réduire la menace qui pèse sur la vie en haute mer et de préserver la santé des écosystèmes en eaux profondes. Pour elle, le principe de précaution prime : aucune exploitation commerciale des fonds marins ne peut avoir lieu, à moins qu’il soit prouvé que cette exploitation ne cause pas de dommages irréversibles à l’océan ni aux fonds marins. La coalition œuvre également à un changement social qui réduira la demande en métaux.

GSR et l’Autorité internationale des fonds marins interprètent différemment le principe de précaution. Kris Van Nijen : « Selon ce principe, vous devez développer votre projet étape par étape. Comment en effet prouver l’impact de l’exploitation minière en eaux profondes si nous ne faisons aucun test ? » En présence de définitions tellement divergentes, la discussion ne peut être que tendue.

Un élément de réconfort toutefois : la Belgique n’est pas encore une république bananière. Oui, des magouilles se trament en coulisses. Oui, certains politiciens conspirent avec les entrepreneurs. Mais le mouvement écologiste s’efforce de se faire entendre et le gouvernement belge assume sa responsabilité dans cette affaire. L’atelier de juin 2018 sur la Loi belge relative à l’exploitation minière en eaux profondes était de grande envergure. Outre l’industrie, des chercheurs, des autorités, des environnementalistes et des organisations non gouvernementales y ont également participé.

Le processus n’a été conclu qu’à la fin du mois de mai 2020, lorsqu’une note de synthèse a été envoyée aux cabinets ministériels concernés. La note conclut, entre autres, qu’il n’y a pas de soutien de la société civile pour l’exploitation minière en eaux profondes. Le résultat de ces consultations peut conduire à une modification de la Loi.

La diplomatie belge est confrontée à un choix difficile. D’une part, elle élabore une convention ambitieuse sur la biodiversité dans les eaux internationales, mais, comme l’a indiqué Antoine Misonne du SPF Affaires étrangères par email, elle constate également que l’exploitation des grands fonds marins est « par définition destructrice » de l’environnement marin. Le ministère des Affaires étrangères tente de sortir de ce dilemme. La Belgique a proposé des mesures à l’Autorité des fonds marins dans un non paper.

La principale proposition est de soumettre les plans environnementaux des contractants à une évaluation scientifique indépendante. Toutes les ambassades belges auprès des acteurs clés de l’Autorité des fonds marins ont été chargées de rechercher du soutien pour ces propositions. Une autre proposition belge visant à accroître l’expertise scientifique de la Commission juridique et technique de l’AIFM en y affectant davantage de biologistes aurait été écartée par l’AIFM.

Mais GSR-DEME exploite également la diplomatie belge. La société se sert, entre autres, des missions belges pour assister aux réunions de l’Autorité internationale des fonds marins. Kris Van Nijen de GSR et Johan Vande Lanotte ont accompagné la délégation belge ces dernières années, et ce dernier en tant que conseiller de GSR. En février 2019, Guy Sevrin, à ce moment-là ambassadeur de Belgique en Jamaïque, a donné la parole à Alain Bernard (jusque fin 2018 CEO de DEME) lors de la réunion du Conseil de l’AIFM. Alain Bernard ne défend pas l’intérêt belge, mais l’intérêt privé de sa propre entreprise. Il a déclaré explicitement espérer qu’un cadre juridique pour l’exploitation minière serait adopté en juillet 2020.

GSR veut établir rapidement un cadre légal donnant la certitude juridique que les nodules polymétalliques peuvent faire surface dans la zone de Clarion-Clipperton. Ce cadre ne sera pas adopté en 2020. Reste à savoir si GSR va bientôt faire sortir un lapin blanc de son chapeau pour forcer l’octroi d’un permis d’exploitation. Le Droit de la mer contient en effet une clause prévoyant une procédure d’urgence. Il prévoit qu’une entreprise qui a rempli les conditions de son contrat d’exploration peut solliciter une autorisation d’exploiter. L’Autorité internationale des fonds marins dispose alors de 2 ans pour finaliser la réglementation.

GSR affirme que son plan de travail pour la phase d’exploration est maintenant bien avancé. GSR pourrait donc envisager d’invoquer la clause des 2 ans. En pratique, la Belgique, en tant qu’État sponsor, devrait ensuite demander la licence d’exploitation. Si GSR veut invoquer cette clause, la Belgique va-t-elle se rallier à ces intérêts privés ? Ou alors, GSR va-t-elle s’arrêter là et remercier la Belgique de l’honneur qui lui a été fait d’avoir été le sponsor de l’exploitation minière belge en eaux profondes ?

Traduit du neérlandais par GRESEA

Avec le soutien du Fonds Pascal Decroos. Une analyse approfondie de documents a été effectuée et des personnalités clés de l’industrie, du monde universitaire, du mouvement environnemental, du gouvernement et de la politique ont été interviewées pour la réalisation de cet article. Merci à tous ceux qui ont contribué à sa création.